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16/02/2017

Encore plus de publicité à la télévision ? Merci Bruxelles !

Il est fascinant – et effrayant – de voir comment une doxa économique mise au point (ou remise au goût du jour) dans les années 60, à savoir l’ultra-libéralisme, peut prospérer et continuer à envahir irrésistiblement notre cadre de vie et à modifier nos modes de vie, des dizaines d’années plus tard. Il est vrai que ce phénomène n’existe que parce que quelques milliers de personnes à travers le monde – soubresauts ou non, crises ou non, catastrophes écologiques ou non – l’entretiennent avec foi et fougue, la Commission européenne sise à Bruxelles n’étant pas la dernière militante envoûtée…

Il est probable que Milton Friedmann et son École de Chicago n’ont jamais envisagé un tel succès dans l’espace et dans le temps, qui s’apparente à une victoire « par KO » sur toute autre approche socio-économique (protection à la Bismarck en Allemagne, Conseil national de la résistance en France, État-providence, New Deal aux États-Unis, welfare state en Grande-Bretagne, etc.) depuis la chute du Mur de Berlin.

Il n’est que de lire, pourtant, le livre de Naomi Klein « La stratégie du choc – la montée d’un capitalisme du désastre » (2007) pour comprendre les dégâts à travers le monde, de ce mode d’organisation qui s’apparente à la liberté du renard dans le poulailler. On sort sonné de la lecture de cette volumineuse enquête peu citée, et pour cause… 

Télévision.jpgTrêve de généralités, venons-en aux faits, relatés dans Les Échos du 13 février 2017, sous la plume de Derek Perrotte.

La Commission européenne a proposé l’an dernier, dans le cadre de la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels, un texte sur la publicité à la télévision qui est en cours d’examen au Parlement.

Que prévoit ce texte ?

Ni plus ni moins que de remplacer le plafond actuel de douze minutes de publicité par heure, par un plafond de 20 % du temps total d’antenne entre 7 h et 23 h (vous aurez compris la plage : 7 h, vous vous levez et allumez la télé ; 23 h, vous éteignez la télé et vous vous couchez ; vous êtes cernés). 

Vous vous rendez compte ? Le plafond actuel est déjà énorme ! Douze minutes (neuf minutes en France pour les chaînes de la TNT) de millions de cerveaux disponibles chaque heure qui passe, disponibles pour absorber en vrac belles filles dans belles voitures, belles filles avec beaux flacons de parfum, nourriture pour chiens et chats, nettoyants divers pour lieux d’aisance, pizzas et sandwichs américains dégoulinants de sauce, protections diverses pour bébés et jeunes femmes dans le vent, etc. 

Comme vous savez compter, vous avez vu que le pourcentage (12/60=1/5=20 %) resterait le même mais qu’au lieu de s’appliquer à chaque heure que Dieu fait, il s’appliquerait à l’avenir à toute la période de consommation quotidienne potentielle. Pour ceux qui ont fait des « mathématiques spéciales », c’est un peu la même chose que la convergence simple et la convergence absolue…

L’idée, l’astuce ou l’entourloupe (rayer les mentions inutiles) est que dans le nouveau système, les chaînes de télé pourraient concentrer la pub aux heures de forte audience et ainsi en tirer plus de revenus. C’est ce que le Commissaire européen appelle « améliorer la compétitivité ». Compétitivité de qui, de quoi ?

Eh bien des chaînes ! Plus de pub vendue plus cher par les chaînes aux annonceurs, c’est plus de rentrées d’argent pour les chaînes, au détriment des pauvres téléspectateurs-consommateurs-vaches à lait, littéralement abasourdis par les tombereaux de spots débiles qui leur tomberont dessus entre la poire et le fromage et avant chaque émission.

Publicité femme allo,gée.jpg

Comble de la débilité, l’un des objectifs affichés serait qu’elles « comblent une partie de leur retard sur les chaînes américaines, qui diffusent elles jusqu’à 20 minutes de pub par heure » ! Ainsi donc, voilà bien l’objectif que l’on nous assigne : faire aussi bien que les Américains dans ce qu’ils ont de plus contestable et de plus insupportable (la société du hamburger, du ketchup et du pop-corn, vautrée devant un écran débitant des sornettes et des blagues à deux balles). 

Année après année, la Commission européenne persiste à nous ultra-libéraliser à la mode anglo-saxonne (dorénavant sans les Anglais…) et signe. Il y a quelques mois, elle avait par exemple failli couler le camembert authentique de Normandie… Vous imaginez, vous, le camembert coulant ? 

Ce n’est pas tout pour la pub à la télé. Il s’agirait de ramener de 30 à 20 minutes le délai minimal entre deux coupures publicitaires des films, téléfilms et programmes d’information. Il s’agirait aussi de faciliter le recours au « placement de produit » (vous savez, le héros de votre feuilleton préféré qui boit du soda X, porte des lunettes Y et s’habille en Z, et le fait savoir bien haut) et au « parrainage de programmes » (vous savez, ces pubs hors coupure publicitaire qui s’amoncellent juste avant le début de votre émission préférée).

Selon l’étude d’impact de la Commission (payée par nous, évidemment), cette réforme gonflerait de 2 à 15 % les recettes des radiodiffuseurs. 

Et tout cela, cette réforme comme toutes les autres qui vont dans le même sens, pour quoi ? Pour une meilleure santé, pour le progrès du savoir, pour l’enrichissement culturel, pour plus de confort, pour une vie meilleure en bref ? Pas du tout ! Pour et uniquement pour augmenter les recettes des entreprises du fameux « paysage audiovisuel ». Dont elles feront quoi ? On n’en sait rien. Financer plus de création européenne ? Financer plus d’enquêtes sur les scandales à répétition ? Sans doute pas…

Naturellement, l’équation est faussée à la base puisque regarder des programmes ne coûte quasiment rien au téléspectateur, mis à part l’achat de son téléviseur et la redevance annuelle. Faisons un petit calcul, en laissant de côté l’information qui, elle aussi, est quasiment gratuite sur internet. Soit une famille de quatre personnes qui devrait, en l’absence de télévision, aller au cinéma chaque soir et au spectacle chaque mois. Il lui en coûterait par mois : 9 € x 4 x 30 + 70 € x 4 = 1360 €, soit 16320 € par an.

Au lieu de cela, la petite famille passe chaque jour de l’année, en moyenne, quatre heures devant la télévision pour 400 € / 365 = 1,1 € pour quatre personnes, soit 6,8 centimes par heure par personne. Ça ne peut pas coller. Qui va payer la différence ? Les fabricants en payant la pub et en se remboursant avec le prix de leurs produits, et, au bout de la chaîne, c’est le cas de le dire, le téléspectateur en acceptant de s’abrutir. 

Publicité laver son cerveau.jpgL’affaire est-elle classée ? Non, pas tout à fait car même à Bruxelles on connaît la courbe en cloche. Si l’on sature de publicité les heures de pointe, on affaiblira l’incidence des publicités (le mieux est l’ennemi du bien, trop d’impôt tue l’impôt, etc.). Ainsi donc, ce n’est pas l’inconfort ou la saturation du téléspectateur qui préoccupe les services bruxellois mais bien l’efficacité du dispositif sur le temps de cerveau disponible ! Ce qui n’empêche pas la commission du marché intérieur d’ajouter que cet affaiblissement serait « au détriment des consommateurs » ! Autre frein au délire publicitaire, l’essor de la télévision à la demande (et là on retrouve notre équation, parce que le téléspectateur paye pour éviter le harcèlement). 

Il paraît que la France prônerait le statu quo et serait donc opposée à cette modification des plafonds. Tant mieux, mais on sait ce qu’il en est de la fermeté française à Bruxelles et à Strasbourg…

Quel rapport de tout cela avec le blogue ?

La pub, c'est autant de temps en moins pour la lecture !

(V.2 du 18 février 2017)

13/02/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique V

Nos terminologues chargés de franciser des mots « nouveaux » connaissaient-ils, en baptisant @ en français, cette tirade de Tholomyès dans les Misérables ?

arobe.jpg« Et la preuve, señoras, la voici : tel peuple, telle futaille. L’arrobe de Castille contient seize litres, le cantaro d’Alicante douze, l’almude des Canaries vingt-cinq, le cuartin des Baléares vingt-six, la botte du czar Pierre trente » (Tome I, page 186). Mais où Hugo va-t-il chercher tout cela ? C’est au détour de quelques petits chapitres qui font figure d’intermède destiné à faire entrer Fantine en scène, un peu comme le fait Dumas. Mon Larousse de 1922 indique que « arrobe » ou « arobe » est un nom féminin qui désigne « une mesure de capacité pour les liquides, usitée en Espagne et en Portugal, contenant de 10 à 16 litres » et aussi « le nom de différents poids variant de 12 à 15 kilogrammes ». 

Plus loin, on lit « Le propre de l’amour, c’est d’errer. L’amourette n’est pas faite pour s’accroupir et s’abrutir comme une servante anglaise qui a le calus du scrobage aux genoux »… 

Et toute cette tirade de Tholomyès est un morceau de bravoure, un hymne aux jeunes filles en fleur et au marivaudage (pages 186-187). 

Beaucoup plus loin – page 381 – on retrouve Fantine, qui attend maintenant le retour de son enfant placé chez les Thénardier. Et Hugo lui fait employer cette syntaxe qui m’a toujours semblé incorrecte : « mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil », « comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! », au lieu de « être allé » (l’auxiliaire être étant un verbe d’état et non pas d’action).

Avec les Misérables, Hugo est un écrivain populaire qui subjugue son public par des mots simples, des rebondissements imprévisibles et des descriptions emphatiques, où il use et abuse du contraste, de la répétition, de l’accumulation, du paradoxe, voire de l’oxymore : « À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie ». « Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite ». « La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable ». « Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon » (pp. 386 et 387). 

Il est clair que l’on pourrait, sans trahir le fond, l’exprimer avec plus d’économie de moyens rhétoriques ! Mais Hugo, outre qu’il songeait sans doute à « délayer » son récit pour des raisons économiques, faisait ici profession d’éducateur des foules.

11/02/2017

Devinette XVIIh : auteurs français de la seconde moitié du XXème siècle

Nous y voilà !

Et d’abord Mauriac, Céline et Camus, que j’avais gardés en réserve.

J’ai peu lu Mauriac ; sa Gironde me plaît mais un peu moins ses personnages de province torturés.

Céline est l’objet d’un véritable culte des intellectuels d’aujourd’hui que je ne m’explique pas… J’ai eu du mal à terminer le « Voyage » et je ne peux m’empêcher de penser à l’auteur derrière son œuvre, peu ragoûtant, à ses opinions politiques, inacceptables. Quant à considérer que son style apporte une révolution dans l’art de raconter des histoires et de ficeler des romans, non, mille fois non !

Et maintenant, à nous deux, Albert Camus, l’homme solaire d’Alger la blanche, le gardien de but, le journaliste, le dramaturge, l’écrivain engagé, le Nobel de littérature ! « L’étranger » est depuis longtemps le livre le plus lu par les jeunes et nous n’avons pas échappé à cet engouement à l’époque. Mais nous avons aussi été marqué à jamais par « La peste », métaphore du nazisme, et par le « Mythe de Sisyphe ».

« Je laisse Sisyphe au bas de sa montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

Admirable et cruel… On pense irrésistiblement à cette phrase reprise par Nougaro : les chants les plus beaux sont les plus désespérés. 

On a adhéré à la philosophie de l’absurde et à la recommandation de Camus de faire de sa vie, là où l’on est, le meilleur possible. Et on admire toujours cette langue directe, percutante, concise et qui n’exclut pas le lyrisme (relire « L’été » dont j’ai déjà donné un extrait). Oui, Michel de Saint-Pierre avait raison ; Camus est mort beaucoup trop tôt. 

Pour la suite, dans cette seconde moitié du XXème siècle, j’ai envie de sauter les poètes et le surréalisme : Éluard, Breton, Aragon (« Les yeux d’Elsa »), Michaux, Ponge, Desnos (« J’ai rêvé tellement fort de toi »), les dramaturges de l’absurde (Beckett, Ionesco), le Nouveau Roman (Sarraute, Simon, Robbe-Grillet, Butor), qui ne me semble lu par personne aujourd’hui, d’oublier Sartre (dont j’ai bien du mal à terminer « Les mots » en ce moment et dont tout le monde connaît surtout l’aphorisme « L’enfer, c’est les autres ») et de m’insurger au contraire contre l’oubli d’Anatole France (« Les dieux ont soif », « La rôtisserie de la Reine Pédauque ») et de Paul Valéry, deux monuments du siècle, dont mon « Tableau chronologique » ne parle pas, pas plus que de Romain Rolland ni de Roger Martin du Gard. 

Je garde une tendresse particulière, sans l’avoir lu, pour Georges Duhamel et sa chronique des Pasquier, parce que ma mère en faisait grand cas et s’était promis de le relire quand elle serait retraitée ; ce qu’elle a eu le temps de faire avant de mourir. 

Le trompettiste de jazz et écrivain pataphysicien Boris Vian a enchanté notre adolescence avec « L’écume des jours » et « L’automne à Pékin », avec ses héros décalés qui « fermaient » les marches quand ils descendaient les escaliers et se réjouissaient quand leurs amies mettaient au monde des « trumeaux ». 

Je laisse de côté les Déon (« Un taxi mauve »), Druon (« Les rois maudits »), Blondin, Sabatier (la saga d’Olivier), Laurent (Caroline chérie »), Bazin (« Vipère au poing ») et autres auteurs à succès… Non, pour moi, Jean Giono est au-dessus de tout, avec sa trilogie « Colline », « Regain », « Un de Baumugnes »,

« Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts.

C’est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras.

Le sainfoin fleuri saigne dessous les oliviers. Les avettes dansent autour des bouleaux gluants de sève douce.

Le surplus d’une fontaine chante en deux sources. Elles tombent du roc et le vent les éparpille. Elles pantèlent sous l’herbe, puis s’unissent et coulent ensemble sur un lit de jonc.

Le vent bourdonne dans les platanes.

Ce sont les Bastides Blanches ».

Banon.jpg

« Quand le courrier de Banon passe à Vachères, c’est toujours dans les midi.

On a beau partir plus tard de Manosque les jours où les pratiques font passer l’heure, quand on arrive à Vachères, c’est toujours midi ».

 

« Je sentais que ça allait venir.

Après boire, l’homme qui regarde la table et qui soupire, c’est qu’il va parler. Surtout de ces hommes qui sont seuls dans le monde, seuls sur leurs jambes avec un grand vide autour, tout rond ; enfin, un de notre bande, un de ceux qui se louent dans les fermes, à la moisson, ou à peu près ».

 

avec son « Moulin de Pologne » et son « Roi sans divertissement ».

Je lui associe volontiers Pierre Magnan (« Un grison d’Arcadie », « L’amant du poivre d’âne » et le merveilleux « Laure du bout du monde »), son ami et disciple de Forcalquier. 

Enfin je n’aurai garde d’oublier Romain Gary (« La promesse de l’aube », « Les racines du ciel »). 

« Nous sommes aujourd’hui de vieux ennemis et c’est de ma lutte avec eux que je veux faire ici le récit ; ma mère avait été un de leurs jouets favoris ; dès mon plus jeune âge, je m’étais promis de la dérober à cette servitude ; j’ai grandi dans l’attente du jour où je pourrais tendre enfin ma main vers le voile qui obscurcissait l’univers et découvrir soudain un visage de sagesse et de pitié ; j’ai voulu disputer, avec les dieux absurdes et ivres de leur puissance, la possession du monde, et rendre la terre à ceux qui l’habitent de leur courage et de leur amour ». 

Le siècle passé nous a encore donné un autre magicien des mots, un autre conteur d’exception, un autre peintre des paysages et des âmes de la Méditerranée, le créateur d’un monde, mais, chut, ce n’est pas le lieu d’en parler ici, même si son esprit y est présent… c’était un Anglais des Indes.