13/02/2017
"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique V
Nos terminologues chargés de franciser des mots « nouveaux » connaissaient-ils, en baptisant @ en français, cette tirade de Tholomyès dans les Misérables ?
« Et la preuve, señoras, la voici : tel peuple, telle futaille. L’arrobe de Castille contient seize litres, le cantaro d’Alicante douze, l’almude des Canaries vingt-cinq, le cuartin des Baléares vingt-six, la botte du czar Pierre trente » (Tome I, page 186). Mais où Hugo va-t-il chercher tout cela ? C’est au détour de quelques petits chapitres qui font figure d’intermède destiné à faire entrer Fantine en scène, un peu comme le fait Dumas. Mon Larousse de 1922 indique que « arrobe » ou « arobe » est un nom féminin qui désigne « une mesure de capacité pour les liquides, usitée en Espagne et en Portugal, contenant de 10 à 16 litres » et aussi « le nom de différents poids variant de 12 à 15 kilogrammes ».
Plus loin, on lit « Le propre de l’amour, c’est d’errer. L’amourette n’est pas faite pour s’accroupir et s’abrutir comme une servante anglaise qui a le calus du scrobage aux genoux »…
Et toute cette tirade de Tholomyès est un morceau de bravoure, un hymne aux jeunes filles en fleur et au marivaudage (pages 186-187).
Beaucoup plus loin – page 381 – on retrouve Fantine, qui attend maintenant le retour de son enfant placé chez les Thénardier. Et Hugo lui fait employer cette syntaxe qui m’a toujours semblé incorrecte : « mon enfant qu’on a été me chercher exprès à Montfermeil », « comme vous êtes bon d’avoir été me la chercher ! », au lieu de « être allé » (l’auxiliaire être étant un verbe d’état et non pas d’action).
Avec les Misérables, Hugo est un écrivain populaire qui subjugue son public par des mots simples, des rebondissements imprévisibles et des descriptions emphatiques, où il use et abuse du contraste, de la répétition, de l’accumulation, du paradoxe, voire de l’oxymore : « À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie ». « Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite ». « La probité, la sincérité, la candeur, la conviction, l’idée du devoir, sont des choses qui, en se trompant, peuvent devenir hideuses, mais qui, même hideuses, restent grandes ; leur majesté, propre à la conscience humaine, persiste dans l’horreur. Ce sont des vertus qui ont un vice, l’erreur. L’impitoyable joie honnête d’un fanatique en pleine atrocité conserve on ne sait quel rayonnement lugubrement vénérable ». « Rien n’était poignant et terrible comme cette figure où se montrait ce qu’on pourrait appeler tout le mauvais du bon » (pp. 386 et 387).
Il est clair que l’on pourrait, sans trahir le fond, l’exprimer avec plus d’économie de moyens rhétoriques ! Mais Hugo, outre qu’il songeait sans doute à « délayer » son récit pour des raisons économiques, faisait ici profession d’éducateur des foules.
09:35 Publié dans Écrivains, Hugo Victor, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
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