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06/09/2023

"Un roman français" (Frédéric Beigbeder) : critique III

Le chapitre « Révélations sur les Lambert » m’a mis mal à l’aise. Il raconte à l’envi les actes de bravoure de ses grands-parents paternels à Pau, qui auraient sauvé quantité de Juifs pendant la guerre, en les hébergeant soit chez eux, soit dans leurs sanatoriums, pour conclure benoîtement qu’il n’y en avait aucune preuve. Peu importe, sa famille, a été admirable : un monarchiste à la Maurras mais « Juste parmi les nations » par décret de Frédéric Beigbeder, d’un côté, un résistant tardif mais réel combattant, de l’autre. Il résume sa philosophie de la vie de la façon suivante : « On pouvait être héroïque et hypocrite, héroïque et mondain, héroïque bien que riche, héroïque sans en mourir » (page 89). C’est sans doute vrai mais alors, pourquoi en faire des tonnes ? Ces mémoires ne sont pas une tranche d’histoire contemporaine, mais une apologie pro domo.

Homme à l’ancienne, il n’en finit pas de mentionner les célébrités qui croisent sa famille : en plus de P.-J. Toulet, Francis Jammes et Paul Valéry déjà cités, Marisa Berenson, Arnaud de Rosnay, Deborah Kerr… (page 75), François Bayrou et la princesse de Faucigny-Lucinge, née Ephrussi (page 86), Pierre Fresnay qui rencontre sa mère à Neuilly (page 111), les frères Bogdanoff qui fréquentent les cocktails de son père et qui l’invitent à leur émission de télé, le pilote Jacques Laffitte qui conduit l’Aston Martin de son père sur l’autoroute entre Biarritz et San Sebastian (page 205), ni de rappeler une ascendance censée être prestigieuse : Granny – son arrière-grand-mère – descendrait du dramaturge anglais George Bernard Shaw, son père serait l’un des importateurs en France du métier de chasseur de tête, …

Mais, a contrario, F. Beigbeder multiplie les anecdotes dans lesquelles il se rabaisse, se montre ridicule, caricature son physique ou ses réactions. Témoin, la narration de ses premières aventures amoureuses et sexuelles : « J’étais tout de même fier d’avoir franchi une étape : tourner ma langue dans d’autres appareils dentaires que le mien (…) J’ai découvert à Montaigne ce que serait mon adolescence : une litanie d’amours muettes, un mélange de douleur exacerbée, de désir dispersé, d’insatisfaction masquée, de timidité absolue, une suite de déceptions silencieuses, une collection de coups de foudre non réciproques, de malentendus, de rougissements intempestifs et vains. Ma jeunesse consisterait principalement à regarder le plafond de ma chambre en écoutant If you leave me now(Chicago) et I’m not in love (10cc) » (pages 105 et 106). Curieux, ce besoin de se flageller en public ! C’est peut-être cela être écrivain… ou alors ce « roman français » est vraiment un roman et tout y est inventé… et dans ce cas, j’aurai été bien attrapé !

Homme moderne, il aime les termes américains mais il les met parfois entre guillemets (français !) : « snuff movie » (page 12), « ghostbuster » (page 21), foot massage (page 69), la gentry (page 85), les ghetto-blasters (page 116), jet setter et successful (page 160), les ravers (page 169), un split-screen (page 210), control freak (page 226).

Plus embêtant pour moi : il explique que les deux romanciers américains Bret Easton Ellis et Jay McInerney ont eu « beaucoup d’influence sur son travail » (quel travail ?) mais « hallucine » quand le policier qui l’interroge lui apprend que Jean Giono a eu l’idée du « Hussard sur le toit » en prison, lorsqu’il fut incarcéré à la Libération ! Comment un écrivain français francophone, même si son arrière-grand-mère était américaine, peut-il hiérarchiser de la sorte le Panthéon littéraire ?

Plus grave encore évidemment est la désinvolture avec laquelle il lui dit complaisamment que son usage de stupéfiants « était une quête de plaisir fugace ». C’est sans doute vrai mais est-il normal de consigner cela dans un livre autobiographique de grande diffusion ? C’est l’origine du léger malaise qui nous accompagne tout au long de son « roman », malgré son indéniable humour et ses anecdotes intéressantes sur des modes de vie aujourd’hui révolus (encore que… ?). « J’expose mon désaccord avec une société qui prétend protéger les gens contre eux-mêmes, les empêcher de s’abîmer, comme si l’être humain pouvait vivre autrement qu’en collectionnant des vices agréables et des addictions toxiques » (page 94). La réponse est oui ! Mais ce chapitre est moins univoque et subjectif que ma recension ne pourrait le laisser penser. D’abord parce que le policier lui aurait dit : « Vous ne comprenez pas les dégâts de cette merde (…) La cocaïne envahit tous les départements, les villes, les banlieues, jusqu’aux plus petits villages, les adolescents en trafiquent dans la cour de récréation ! » (page 97) et ensuite que lui-même aurait répondu : « Ce qui est en cause, c’est notre façon de vivre. Au lieu de frapper les victimes, demandez-vous pourquoi tant de jeunes sont désespérés, pourquoi ils crèvent d’ennui ; pourquoi ils cherchent n’importe quelle sensation extrême, plutôt que le sinistre destin de consommateur frustré, d’individu normalisé, de zombie formaté, de chômeur programmé (…) La cocaïne est dans mes livres non pas pour faire branché ou trash (…) mais parce qu’elle condense notre époque : elle est la métaphore d’un présent perpétuel sans passé ni futur. Croyez-moi, un produit pareil ne pouvait que dominer le monde actuel ; nous n’en sommes qu’au début de l’intoxication planétaire » (pages 98 et 99). En effet, au-delà de sa mauvaise foi et de son impudence à fondre son cas d’enfant gâté dans celui de tant de jeunes défavorisés, quelle lucidité et quelle actualité ! Cela a été écrit il y a quatorze ans ! On ne peut s’empêcher de penser aux progrès de la cocaïne visibles au grand jour et aux victimes tous azimuts de la drogue durant l’été 2023.

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