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02/09/2023

"Un roman français" (Frédéric Beigbeder) : critique II

C’est un numéro, ce Frédéric Beigbeder ! Il s’est fait connaître par son livre « 99 francs » (Grasset, 2000) mais regardons plutôt les titres de ses autres opus (quasiment un par an depuis 1999) : « Mémoires d’un jeune homme dérangé », « Vacances dans le coma », « Nouvelles sous ecstasy », « L’égoïste romantique »… Il soigne manifestement son image de « marginal mondain », de « doux dingue », de « dandy inspiré »… Mais, bon, il écrit des romans, des chroniques et fait partie en ce moment de l’équipe de Jérôme Garcin dans « le Masque et la Plume ».

Alors, continuons de feuilleter son roman de 2009, « Un roman français ». Un lecteur me signale que « français » se réfère (selon lui) à « fier, râleur, caustique, camé, bien né, frustré, insouciant, indiscipliné, brillant, jouisseur, baratineur, cosmopolite »… Ce n’est pas mal vu !

Et le terme « roman » appliqué à ce qui est en fait un récit, une autobiographie, une confession, une introspection, une réflexion sur sa vie et sur sa famille, s’explique page 231 seulement. F. Beigbeder écrit : « Toutes les enfances ne sont peut-être pas des romans mais la mienne en est un » et aussi « Telle est la vie que j’ai vécue : un roman français » (page 257) . Pourquoi ? Parce que sa vie a coïncidé avec l’après-deux guerres mondiales, avec « la mort de la grande bourgeoisie cultivée de province et la disparition des valeurs de la vieille noblesse chevaleresque », avec la décolonisation, avec l’avènement du capitalisme mondialisé.

Le livre commence par sa garde à vue, justement, dont il donne tous les détails et qui lui a donné l’occasion d’écrire, dans sa tête, ce récit aux allures houellebecquiennes : « Les héros de mes livres sont les produits d’une époque d’immédiateté, paumés dans un présent déraciné – transparents habitants d’un monde où les émotions sont éphémères comme des papillons, où l’oubli protège de la douleur » (page 18). Il déplore, non sans humour, de n’avoir aucun souvenir de son enfance : « J’aimerais faire le récit d’une demi-part supplémentaire sur la déclaration de revenus de mes parents » (page 21). Mais « La littérature se souvient de ce que nous avons oublié : écrire, c’est lire en soi. L’écriture ranime le souvenir, on peut écrire comme l’on exhume un cadavre » (page 21). On verra qu’en fait d’amnésie, il a des souvenirs très précis, jusqu’aux marques des jouets, des habits, des aliments de son enfance.

Le livre est construit sur une alternance de chapitres sur sa garde à vue (suite à un flagrant délit de consommation de drogue dans la rue), et sur sa quête de souvenirs pour reconstituer son enfance. Les chapitres en détention sont provocateurs et plutôt glauques, tandis que les chapitres sur son passé sont enchanteurs et délicieusement démodés (pas tous, vu que le narrateur n’a que 44 ans à ce moment-là et qu’on retrouve donc des situations et des comportements que beaucoup d’entre nous ont connus). La détention est présentée comme l’élément-déclencheur de l’écriture du livre de souvenirs.

Comme dans un film, après l’événement-choc, on raconte ce qui a conduit à l’événement, F. Beigbeder nous parle donc d’une soirée très arrosée (grands crus, innombrables shots de vodka, drogue), avec là encore une sincérité, une lucidité, une naïveté, déconcertantes (certains de ces produits sont interdits en France…). Tout cela est écrit d’une plume alerte et pleine d’humour. Extraits : « De ce petit jour date la fin de ma jeunesse interminable » (page 28), « Privé d’espace et de temps, j’habite un container d’éternité. Une cellule de garde à vue est le lieu de France qui concentre le maximum de douleur dans le minimum de mètres carrés » (page 31).

A priori il ne lui reste qu’une seule image de son enfance : la plage de Cénitz. C’est l’objet du chapitre 6, « Guéthary, 1972 ». Tout à coup, F. Beigbeder commence une (première) longue mortification, s’accusant de tous les défauts, s’estimant « transparent » à côté de son frère aîné Charles (qui sera un chef d’entreprise en vogue au moment de l’ouverture du marché de l’électricité), se peignant en enfant souffreteux, ébouriffé, « horriblement complexé par mon menton en galoche, mes oreilles d’éléphant et ma maigreur squelettique » (page 45), qui rougit dès qu’on lui adresse la parole, qui pleure devant le moindre mélo, et qui saigne du nez à tout bout de champ… C’est une sorte de leitmotiv dans le livre : s’autocritiquer, se diminuer, et cette curieuse obsession culmine au chapitre 28, « Le frère du précédent », dans lequel il proclame : « Le problème, c’est que Charles est imbattable, il est l’homme parfait. Il ne m’a donc laissé qu’une option : être un homme imparfait » (page 194). Le psychanalyste Jean-Bernard Pontalis a écrit « qu’entre deux frères peut exister de l’amour, de la haine ou de l’amitié, et parfois un mélange des trois : une passion destructrice » (dans « Frère du précédent », Gallimard, 2006). Ce chapitre est une merveille, par les oppositions systématiques qu’il décrit entre deux frères par ailleurs tellement proches ; c’est sans doute une déclaration d’amitié (et d’allégeance) éternelle à son frère aîné par livre interposé. Divan, tu n’es pas loin… et on est proche de la confession. « J’ai perdu mon père à l’âge de sept ans et mon frère à l’âge de dix-huit ans ; or c’étaient les deux hommes de ma vie » (page 204). « Les livres sont un moyen de parler à ceux auxquels on est incapable de parler » (page 239).

Le chapitre 10, « Avec famille », est une sorte de commentaire de « Familles, je vous hais ». Parents divorcés, lui-même divorcé deux fois, il tire à boulets rouges sur la vie de famille : « Une famille, c’est un groupe de gens qui n’arrivent pas à communiquer mais s’interrompent très bruyamment, s’exaspèrent mutuellement, comparent les diplômes de leurs enfants comme la décoration de leurs maisons, et se déchirent l’héritage de leurs parents dont le cadavre est encore tiède » (page 59).

Puis vient la rencontre entre ses parents, reconstituée de belle manière, d’après des photos dit-il, passionnée, romantique. Hélas, notre auteur n’a pas connu ses parents ensemble… puisqu’ils se sont séparés quelque temps après sa naissance.

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