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13/09/2022

"Un jardin pour mémoire" (Jacques Lacarrière) : critique IV

« Un jardin pour mémoire » est sans doute à l’image de son auteur : cultivé, touche-tout, un peu philosophe, un peu poète, partant dans tous les sens (mais avec, toujours, l’intuition du sens de son avenir), un peu superstitieux, un peu encyclopédique, parfois foutraque, souvent iconoclaste. La première lecture laisse une impression de savant bavardage, avec trop de longueurs, de redondances, de redites (la preuve, je ne pensais y consacrer que quelques lignes de mon blogue !). Mais, en rédigeant la « critique », sept mois après, je me dis que ce récit autobiographique, qui raconte un passage à l’âge adulte d’un jeune homme des années 40, ne manque pas de charme ni d’intérêt, ne serait-ce que comme témoignage de ce qui fut l’adolescence de… nos parents.

La mélancolie ni la nostalgie de l’homme devenu adulte et qui médite dans les ruines de Palmyre (qu’il trouve alors équivalentes, quant aux traces des siècles passés, aux fresques de Lascaux et qui, depuis, sauf erreur, ont subi les outrages irréparables des fous de Daech) n’en sont absentes… Alors revenons une dernière fois à la belle Éléonore.

« - Mais toi, tu auras été la première, celle qu’on n’oublie jamais.

- Toi aussi, tu sais, tu as été le premier. Il n’y aura que deux hommes dans ma vie : toi et lui.

(…)

Je l’ai vraiment su ce jour-là, à cette minute-là, grâce, si je puis dire, au choix d’Éléonore : ma vie n’avait plus rien à faire ici, à Orléans. Je ne devais plus m’attarder, le monde tout entier m’attendait. Éléonore m’avait donné sa tendre amitié, son exigence et sa sincérité. À moi de m’en aller sans drame et sans éclat. Elle et Cyprien avaient besoin d’une arche. Moi, je n’avais besoin que d’un fleuve ou que d’un chemin, pourvu qu’il mène vers la mer ou vers un autre monde. Je pourrais presque dire où, quel jour, à quelle heure au juste, a pris fin mon adolescence. C’est à cet instant que la Loire me souffla en ces mots de rives et d’écumes, de sables et de remous, en son fluide chuchotement : ton chemin te conduira au-delà de la mer. Le mien s’arrête là. Je ne peux te guider plus loin. Je n’ai qu’un seul langage, mais la mer en a mille. À toi de les apprendre. À toi de continuer sans moi. Oublie pour un temps le jardin, le tilleul et Éléonore. Oublie la ville et ton pays. Et va où ton destin commence : juste au-delà du mur aux framboisiers » (page 133).

La fin de l’histoire d’amour juvénile semble indolore, sereine, sans pathos mais au contraire empreinte de beaucoup de maturité. Lors de la cérémonie de mariage d’Éléonore, notre futur écrivain joue une transcription de Debussy au violon mais, de retour chez lui… Je ne priverai pas le potentiel lecteur de l’épilogue ! Qu’il sache seulement qu’il figure page 193 de l’édition de Nil d’août 1999…

PS. Jacques Lacarrière a dédié son livre de souvenirs à Raymond Abellio (« qui m’a aidé à découvrir la face cachée du monde »), à Sylvia (« pour toutes les années partagées ») et à Kalou Rimpoché (« qui m’a conduit sur les chemins d’éveil »). Je mentionne ce dernier patronyme comme un clin d’œil à qui saura le voir… Kalou (1905-1989) est considéré comme un pionnier dans la diffusion du bouddhisme tibétain en Occident.

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