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05/06/2017

"Pourquoi je préfère rester chez moi" (Benoît Duteurtre) : critique III (Anne à la plage)

Le chapitre 6 du livre de Benoît Duteurtre « Pourquoi je préfère rester chez moi » commence par une réflexion douce-amère – plus amère que douce en vérité – sur la propension des édiles parisiens à installer partout et tout le temps, des lieux et des événements « festifs », et se termine par une véritable diatribe contre son maire actuel, Mme Anne Hidalgo, derrière laquelle on devine une irritation à peine contenue envers la façon « socialiste » de gérer la capitale.

Paris Plages 1.jpgC’est Paris Plages qui, d’abord, concentre l’ire de notre solitaire ; « aux bains de foule et aux tambours brésiliens » il préfère mille fois les déambulations sans but dans les rues de Paris. De fil en aiguille, il passe à la fermeture progressive des quais, entraînant le déport des automobilistes vers les voies adjacentes et aboutissant à l’augmentation de la pollution atmosphérique et sonore, y compris pour ceux qui, étendus sur les transats des quais rendus au farniente, y étaient venus chercher le calme et l’air pur. C’est un refrain bien connu entonné régulièrement par les héritiers de Georges Pompidou (tout pour la bagnole) et, pour des motifs plus compréhensibles, par les banlieusards obligés de traverser Paris. Peut-on aller vers une société plus écologique sans bousculer des habitudes, payer des pots cassés et gêner telle ou telle catégorie de la population ? Évidemment pas… M. Duteurtre a choisi son camp. Pas moi, qui reste partagé vis-à-vis de ces initiatives… Comment contenir le développement continu de la circulation automobile et celui de la pollution ? Des voies rétrécies ? interdites ? des péages ? la circulation alternée ? des subventions aux transports en commun, au vélo ou à l’abandon d’un véhicule ? Quel automobiliste n’a pas été horripilé par ces feux tricolores désynchronisés qui obligent à s’arrêter (et à redémarrer) tous les cinquante mètres (bonjour les gaz d’échappement) et par ces murets qui encadrent les voitures comme si elles roulaient sur un rail ? Par ailleurs, pourquoi se priver de quelques rassemblements populaires de temps à autre, même s’ils font irrésistiblement penser au panem et circenses des Romains et fleurent bon le boboïsme aux frais des Franciliens ? Arbitrages difficiles…

Paris Plages 2.jpgQuoiqu’il en soit Benoît Duteurtre l’affirme : « Mais les Parisiens ne viennent guère (sur les berges rendues à la population) et dédaignent ces promenades, trop occupés sans doute par la vie quotidienne. Les berges restent donc désertes toute la semaine, tandis qu’au-dessus le flux d’automobiles piétine sur une portion réduite de chaussée (…). On mesure ainsi comment une administration sans envergure peut aggraver le mal qu’elle prétend combattre (…). Au lieu de cela, la municipalité rose-verte a opté pour des mesures ubuesques et dispendieuses qui restreignent à peine le nombre d’automobiles (…). En somme gâcher la vie pour la rendre meilleure (…) Ou encore, provoquer le chaos en espérant qu’une révolution suivra » (pages 69 à 71). Au passage, notre irrité s’en prend aux cyclistes (qui, sûrs de contribuer à sauver la planète, ne respectent plus rien), à la police qui ne verbalise que les automobilistes, aux « affreux pousse-pousse en tôle et plastique (…) donnant à la Ville-lumière une allure de banlieue du tiers-monde » (page 73)…

Mais ce n’était qu’un hors d’œuvre ! La charge la plus féroce est à venir ; elle est destinée à « la dame de fer parisienne » : « Avec son sourire noir, son ton cassant et son blouson de cuir, Anne Hidalgo démontre que féminité peut aussi rimer avec férocité » (page 74). Depuis « L’Atlantide » de Pierre Benoît, on le savait… « Cette maire Fouettard est la nouvelle incarnation de la vertu : d’abord en tant que femme ; ensuite en tant que femme de gauche ; et plus encore en tant que femme de gauche intransigeante qui ne lâche rien (…) Elle ne saurait entendre la plainte égoïste du conducteur, elle qui vole de congrès en congrès pour la protection de la planète (…) Face aux moindres critiques, la sorcière bien-aimée des bobos n’hésite pas à dégainer… » (page 75).

Paris Plages 3.jpgLa troisième partie du chapitre s’attaque aux « attractions censées ranimer l’activité urbaine », que notre anachorète rattache à l’homo festivus décrit par Philippe Muray. « La capitale vit désormais au rythme des défilés sonores à l’occasion de la Gay Pride, de la Techno parade, de la Nuit blanche ou du Carnaval tropical, qui seraient autant de moments conviviaux (…). Le parvis de l’Hôtel de Ville est devenu le siège d’une permanente animation avec ses rassemblements de sportifs le dimanche matin, sa patinoire d’hiver, ses cours de tennis pendant le tournoi de Roland-Garros, ses terrains de basket l’été, ses fan zones sportives au moment des championnats, ses rendez-vous citoyens consacrés à l’Europe, à l’air pur, à l’emploi… mais aussi son brunch anti-gaspi, son salon des étudiants, son festival de rock (…). Des sonos pléthoriques accompagnent ces rassemblements où la Ville de Paris ne semble guère préoccupée de souligner la note parisienne. Au contraire, l’anglais s’impose de plus en plus dans la communication de cette mairie qui accueille le sommet Cities for life, quand elle ne soutient pas l’Innovation day. Et seule la musique anglo-américaine accompagne, en hiver, les déambulations des patineurs sur cette place de Grève qui vit se succéder tant de moments historiques. Les patinoires new-yorkaises savent prêter à ces lieux magiques une couleur musicale en harmonie avec le décor : on glisse au son du jazz sous les gratte-ciels du Rockfeller Center. La Mairie de Paris aurait pu privilégier la chanson française en diffusant agréablement les refrains de Piaf, Ray Ventura ou Michel Delpech, sans rien ôter au plaisir des patineurs » (page 77). Alors là, bien sûr, je suis complètement d’accord ! Et j’ajoute à la liste : Olivia Ruiz, Serge Lama, Clarika, Claude Nougaro et tous les autres.

Retour à Anne : « Elle ricanerait avec mépris, comme elle le fait souvent quand l’opposition s’exprime ? Car cette femme ne doute pas. Elle possède cette assurance propre à son camp, toujours persuadé d’incarner la justice et les valeurs morales (…). La preuve : la façade de l’Hôtel de Ville présente les photos agrandies des prisonniers d’opinion du monde entier, comme pour nous rappeler que cette mairie incarne les valeurs du bien » (page 79).

Et le chapitre se conclut par un paragraphe sur la culture (à Paris) – on est loin de la pollution atmosphérique et des embarras automobiles. Quand on aborde ce sujet, on ne peut pas ne pas évoquer Jack Lang (pourquoi Jack et non Jacques ?). Benoît Duteurtre lui concède deux idées de génie : élargir l’intervention de l’État au-delà de ce qu’avait imaginé André Malraux pour les chefs d’œuvre de l’art, en incluant les musiques populaires, la mode, le design, les arts de la rue, et transformer la culture « en parade citoyenne, ponctuée par des rassemblements comme la Fête de la musique et des mobilisations d’artistes au service des grandes causes » (page 81). Il reproche à la municipalité socialiste, « faute de pouvoir s’attribuer la création de ce réseau (de bibliothèques, de conservatoires, de théâtres…), de s’être évertuée à le transformer, à le dénaturer et à le fragiliser au nom de la supposée lutte contre les inégalités » (page 82). Et de dénoncer les attaques supposées contre les enseignements élitistes, trop coûteux et trop conservateurs (sic) des conservatoires… En ce qui me concerne, j’ai constaté les évolutions très positives des conservatoires de musique en Île-de-France, malgré effectivement des restrictions budgétaires ces dernières années et je ne les attribue à aucune couleur politique particulière des municipalités… Quant au souhait de supprimer les cours individuels, le motif qu’on m’en a donné n’avait rien à voir avec les inégalités sociales…

En revanche, bien sûr, je trouve lamentable d’avoir rebaptisé « Montfort Théâtre » (à l’américaine) l’ancien théâtre Sylvia Montfort, tout comme le bouleversement de son offre de programme, jugée ringarde.

« La ville mise sur le grand, le visible et le bruyant. De la Nuit blanche qui invite à découvrir des installations éphémères, à la Gaîté lyrique où l’argent public subventionne la techno et les jeux vidéo, en passant par la grande roue implantée place de la Concorde au mépris des lois mais avec l’assentiment de l’Hôtel de Ville… » (page 84).

Benoît Duteurtre ferraille encore sur l’affaire Dutilleux, puis sur la préférence de Mme Hidalgo pour les JO à Paris au détriment de l’Exposition universelle… c’est son baroud d’honneur pour le chapitre 6 intitulé, je le dis pour terminer mon billet, « Les embarras de Paris ».

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