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27/06/2016

"Lumières de Pointe-Noire" : critique (II)

Sur la forme, voici les quelques coquilles et incorrections que j’ai relevées dans « Lumières de Pointe-Noire » : 

  • « … ce mensonge qui ne m’aura permis jusqu’alors que d’atermoyer le deuil ». C’est la deuxième phrase du livre, page 11 de l’édition Points (la première est très proustienne : « J’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie » !). Moi qui connais le mot « atermoiement », j’ai été surpris par ce verbe « atermoyer » qui fait suranné. Mais, manque de chance ou absence de relecture vigilante, ce verbe est intransitif ; Alain Mabanckou ne pouvait donc pas écrire « atermoyer le deuil ».
  • « de ma mère, j’ai le souvenir immarcescible des yeux marron clair dont il me fallait sonder la profondeur pour discerner ses soucis… » (page 19). Bien sûr « marron » est invariable car cette couleur porte le nom d’un objet (comme « orange » et contrairement à « vert »). Mais franchement, ce beau mot de « immarcescible », je ne connaissais pas. Il ne figure pas dans le Hachette de 1991 mais voici ce qu’en dit le Trésor de la langue française :

IMMARCESCIBLE, IMMARCESSIBLE, adj.

Littér. Qui ne peut se flétrir ; impérissable. Les lois immarcescibles de l'optique géométrique (QUENEAU, Loin Rueil, 1944, p. 95). Un souvenir (...) immarcescible (...) un de ces souvenirs si solides, si présents qu'on a pour ainsi dire jamais besoin d'y penser (ARNOUX, Visite Mathus., 1961, p. 154) :

Ainsi, je t'ai créé de la suprême essence,

Fantôme immarcessible au front d'astres nimbé,

Pour me purifier de la concupiscence,

Pour consoler mon cœur dans l'opprobre tombé.

MORÉAS, Syrtes, 1884, p. 68.

  • J’ai toujours un problème avec les expressions du type « une des raisons qui », comme dans « une des raisons qui expliquaient qu’elle ne m’avait réellement jamais regardé droit dans les yeux durant mon enfance » (page 19). Alain Mabanckou accorde avec « des raisons » mais moi, je l’accorderais avec « une ». Je vais demander à l’Académie. 

Dans « Lumières de Pointe-Noire », il y a bien sûr quelques belles pages et quelques belles phrases.

« Ces enfants, eux, savent, à travers la rudesse de l’existence, trouver les points de lumière. J’ai mis du temps avant de comprendre qu’ils étaient tout aussi heureux que je l’étais lorsque j’avais leur âge et que le bonheur était dans le plat qui fumait dans la cuisine, dans l’herbe qui poussait, dans le pépiement d’un couple d’oiseaux amoureux, voire sur l’affiche d’un film indien projeté au cinéma Rex où nous nous alignions dès dix heures du matin pour avoir la chance d’assister à la séance de quinze heures. Nous étions loin des tracasseries de nos parents en qui, de toute façon, nous avions confiance car ils savaient maquiller leurs angoisses, leurs manques, leurs difficultés à joindre les deux bouts de mois pour ne pas entacher notre innocence » (page 125). 

« Cette influence de l’Union soviétique sur notre éducation eut pour conséquence directe le recul de deux langues que nous estimions propres aux capitalistes et qu’il fallait bannir : l’anglais et l’espagnol. À se demander pourquoi nous continuions à utiliser le français, laissant presque sous-entendre que celui-ci ne venait pas du monde capitaliste et était une langue congolaise. Toujours est-il que le russe devint la langue que chacun devait privilégier (…). Afin d’inciter les élèves à regarder vers l’Union soviétique, certains professeurs, membres du PCT, lâchaient : - Qu’est-ce que vous avez à foutre avec la langue anglaise puisque vous n’irez jamais en Angleterre ? » (page 219). 

« Pointe-Noire conserve jalousement son passé de ville coloniale (…). Le romancier camerounais Eza Boto (Mongo Beti) est sans conteste l’un des auteurs d’Afrique noire francophone qui auront le mieux décrit la ville coloniale. Dans son roman Ville cruelle, le nord de la cité de Tanga est une petite France importée sous les tropiques, avec ses bâtiments somptueux, ses artères fleuries, tandis que le sud croupit dans la misère la plus extrême, sans électricité et où, quand la ville dort, la pègre sème la terreur » (page 233). 

Il y a aussi, comme souvent chez Mabanckou, de l’humour et un certain militantisme optimiste pour la liberté et le respect du droit, comme dans le chapitre « Guerre et paix », que j’ai déjà cité, où il fait dire à l’un de ses interlocuteurs dans un bar, tout le mal qu’il pense des guerres civiles et des dirigeants de son pays, ligoté par le pétrole.

Au total, donc, un livre qui se lit facilement, que l'on n'a pas envie de garder et auquel on doit préférer le roman "Demain j'aurai vingt ans" du même auteur.

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