02/10/2015
"Immortelle randonnée" de Jean-Christophe Ruffin : critique (II)
Jean-Christophe Ruffin, ancien "Médecins sans frontières", passagèrement ambassadeur de France au Sénégal, prix Goncourt pour "Rouge Brésil" en 2001 et nouvellement élu à l'Académie française, se dit un jour que tous les honneurs dont il est l'objet pourraient lui détraquer l'ego et décide de partir sur le chemin de Compostelle, avec le dénuement et la modestie qui sont la marque des pèlerins. Il ne prend pas de notes mais, sitôt rentré, il met noir sur blanc le récit de son périple initiatique.
Foin des effets de style et des émerveillements poétiques, J.-C. Ruffin ne s'intéresse qu'au cheminement spirituel qui accompagne la marche solitaire pendant des centaines de kilomètres. Il distingue plusieurs phases dans l'acclimatation qui se fait au fur et à mesure que l'on avance sur le Chemin : d'abord surmonter les difficultés physiques, ensuite l'élan religieux suscité par ce périple sur les pas des milliers de pèlerins du Moyen-Âge :
"La magie entêtante de la prière nous avait tous saisis. C'est une des particularités du Chemin que d'offrir au pèlerin, et quelles que soient ses motivations, des instants d'émotion religieuse inattendue. Plus la vie quotidienne du marcheur est prosaïque, occupée d'affaires d'ampoules douloureuses ou de sac trop lourd, plus ces instants de spiritualité prennent de force. Le Chemin est d'abord l'oublie de l'âme, la soumission au corps, à ses misères, à la satisfaction des mille besoins qui sont les siens. Et puis, rompant cette routine laborieuse qui nous a transformées animal marchant, surviennent ces instants de pure extase pendant lesquels, l'espace d'un simple chant, d'une rencontre, d'une prière, le corps se fend, tombe en morceaux et libère une âme que l'on croyait avoir perdue" (page 75 dans l'édition Folio).
"C'est à de telles expériences que le pèlerin mesure les évolutions de ce monde. Si le pèlerinage de Compostelle connaît un regain de vitalité, ce n'est plus comme la voie royale de la foi qu'il était jadis. Le Chemin est seulement un des produits offerts à la consommation dans le grand bazar postmoderne" (page 77).
"… Rien de tout cela n'est grave. Car on sait désormais que, dans un kilomètre ou dans dix, une église va nous offrir l'abri de ses voûtes fraiches, le réconfort de ses pierres, la mystérieuse présence du divin. Que l'on soit croyant ou non, on laissera son esprit plonger dans cette eau pure et l'on connaîtra cette sorte particulière de baptême que constitue la manifestation de la transcendance au cœur de son être" (page 152).
et enfin la "zénitude" bouddhique, qui efface toute passion et toute fatigue.
À suivre...
07:30 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Ruffin Jean-Christophe | Lien permanent | Commentaires (0)
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