26/05/2015
Cécile, ma bonne sœur (V)
L'actualité du livre de Cécile Ladjali "Mauvaise langue", pourtant vieux de huit ans, est étonnante. Ainsi ce passage sur la religion (ou le "fait religieux", comme l'on dit aujourd'hui, dans le contexte général d'hypocrisie et de camouflage), qu'elle écrit page 165, un peu avant l'épilogue : "Je pense que nous sommes sortis d'une ère qui a construit ses valeurs autour de la révolution de mai 1968 ! L'école a longtemps laissé vacant le terrain consacré à l'étude des religions. Les programmes y reviennent depuis quelques années et la demande des élèves va croissant. Je devine un lien entre la crise de l'autorité à l'école, la crise du langage, et le renoncement à l'étude des textes sacrés.
J'ai étudié Alcools avec mes étudiants. Le syncrétisme biblique et mythologique d'Apollinaire est éblouissant et il reste l'architecture de sa poétique. Si presque toutes les références aux textes de l'Ancien et du Nouveau Testament étaient identifiées par les élèves en 1913, tel n'est plus le cas aujourd'hui. Or, il n'est pas possible de lire les œuvres qui construisent notre culture sans ce bagage. L'une des raisons de la surdité des élèves aux classiques est peut-être à chercher dans leur absence de connaissances sérieuses relatives au corpus sacré. Ce vide doit être comblé, en dehors de toute idéologie et de tout prosélytisme dangereux. L'étude comparée de la Torah, du Coran et de la Bible reste une invite à la tolérance, puisque ces trois textes fondateurs sont superposables en bien des points. Tourner le dos à cette réalité linguistique revient non seulement à s'interdire d'entrer en littérature sérieusement, mais aussi à priver les élèves de repères et de valeurs qu'ils sont les premiers à demander.
La laïcité reste une formidable occasion de rencontre entre les cultures et les différentes confessions. Le face-face avec la poétique des textes sacrés et leur humanisme que permet un langage rigoureux, conduit au dépassement des clivages et abolit l'épreuve des idéologies. La laïcité tourne le dos aux communautarismes, justement parce qu'elle favorise un accès au sacré par des mots simples, posés, tournés vers l'objectivité d'un cours et d'une culture commune à acquérir puis à partager".
N'est-ce pas que c'est beau ?
Pour moi, d'une certaine façon, c'est trop beau ! Il reste d'abord à se convaincre que c'est le rôle de l'école de s'immiscer dans le domaine des convictions personnelles et de la foi (la laïcité a bon dos)… Ensuite à croire que les enseignants auront le bagage nécessaire pour éviter de dire des bêtises sur tel ou tel point de telle ou telle religion, au risque de déclencher une bronca ou une mini-émeute dans certaines classes. Par ailleurs, les croyants de ces trois religions sont-ils prêts à entendre comparer la leur avec les deux autres ? Et puis, pourquoi ces trois-là et non pas le bouddhisme ou d'autres ? Il est vrai que, malgré le film de Jean Yanne, les Chinois n'ont pas essayé d'envahir la France...
Cela étant, l'esprit ouvert et positif de Cécile Ladjali est remarquable et surtout, n'est-ce pas peu ou prou, sur ce sujet, ce que veut faire (ou amplifier) Mme Belkacem en 2015 ?
Petit détail, côté typographie, je n'aurais pas mis de virgule ni avant ni après "or" et "mais". En revanche, j'en aurais mis une avant "puis"...
PS. syncrétisme : fusion de plusieurs éléments culturels hétérogènes / combinaison de plusieurs systèmes de pensée.
15:18 Publié dans Actualité et langue française, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
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