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04/04/2015

Marco en remet une couche !

Vous connaissez Marco… Non, je ne parle pas de Marc-O, qui se prend pour un grand journaliste, avec son sourire un peu niais.

 

Marc Fumaroli.jpgIl s’agit de notre ami Marc, Marc Fumaroli, ce grand garçon de 82 ans, agrégé de lettres classiques, docteur ès lettres, professeur au Collège de France, académicien, président de la Commission générale de terminologie et de néologie, spécialiste du XVIIIè siècle, auteur d’une multitude d’ouvrages, dont plusieurs sur Chateaubriand, titulaire d’innombrables prix, distinctions et appartenance à des Académies, et enfin instigateur d’un Institut consacré à l’étude de la République des lettres dirigé par notre autre ami Antoine Compagnon. Ouf ! Certains diront que c’est un mandarin, en tous cas, c’est un ponte, une pointure…

 

Eh bien notre ami est intervenu dans le Figaro le 1er avril 2015 pour défendre « les humanités (face) au péril d’un monde numérique ». C’est un long entretien d’une page A2, dans lequel il revient sur le sujet qui nous occupait la semaine précédente : la disparition programmée de l’étude du latin et du grec mais en élargissant le propos à une sorte de lutte des Anciens contre les Modernes, j’ai nommé « la culture classique » contre « le monde numérique ».

 

Il y déploie une conviction, une verve et un abattage qui vont encore plus loin que les interventions de nos intellectuels précédents (cf. mes billets des 21, 22, 23, 26, 28 et 29 mars 2015). Et il parle bien.

 

« Si les humanités fécondent la beauté de la langue, la grâce de l’expression, les plaisirs de l’esprit, c’est un crime d’en priver les enfants des écoles ».

 

M. Fumaroli voit trois explications à cette indifférence vis-à-vis des humanités :

§  D’abord « le fanatisme égalitariste », « le pédantisme égalitaire », selon lui unique au monde, et dont il rend responsable Pierre Bourdieu et ses disciples. Il utilise un argument original pour évacuer le prétendu élitisme des langues anciennes : « Les riches se fichent bien du latin et du grec mais ils envoient leurs enfants étudier dans de coûteuses public schools anglaises ou suisses, infiniment plus élégantes et élitistes que nos lycées républicains ». (NDLR : remarquez qu’il dit « dans de coûteuses… » et non pas « dans des coûteuses… »).

§  Ensuite « la superstition du numérique, nouvelle religion appelée à abolir toutes les formes anciennes d’éducation » et qui va conduire à « la disparition à terme d’individus pourvus d’esprit critique bien faits et libres ». Sus au « bombardement publicitaire des dieux numériques, Samsung et Apple ».

§  Enfin « l’utilitarisme à courte vue du tout-économique ». Là, il rejoint le Régis Debray de « L’erreur de calcul ». On évacue avec zèle, dit-il, « dans l’esprit terroriste de la destruction créatrice célébrée par Schumpeter, les joyaux les plus précieux de notre patrimoine symbolique : la langue, la longue mémoire, la beauté, le goût, la délicatesse de l’esprit et du cœur »

 

L’invasion du numérique « atrophie un autre mode de notre rapport au monde et aux êtres. Cet autre mode, allégorique et non algorithmique, analogique et non linéairement logique, nous donne accès à l’univers de la qualité, de la saveur, de l’ambiguïté, de la beauté, de l’amour, du goût, où se fait et se défait notre bonheur ». Rien de moins !

 

« Une éducation purement utilitaire serait pratiquement inutile ».

 

Autre argument intéressant : « … tout ce qui est utile au monde hypernumérique… s’apprend aujourd’hui très tôt et sur le tas, par l’expérience plus que par la théorie et le discours ». C’est ce que disait déjà Pierre-Gilles de Gennes à propos de la gestion face à la physique, dans les études supérieures, il y a vingt ans…

 

Et donc, « ce n’est pas en redoublant cette appropriation spontanée au monde numérique, que l’école jouera son rôle d’éveilleur des esprits ».

 

« L’apprentissage et la maîtrise du latin et du grec ouvrent aux jeunes esprits, des perspectives dont les prive la culture exclusive de l’immédiat et de l’utile ». Argument déjà entendu, mais séduisant. En somme, c’est la graine qui fera l’ouverture au monde, la tolérance, la liberté d’esprit, la curiosité pour l’humain… Habile, non ?

 

D’après lui, nous sommes les seuls à pratiquer cette démolition : l’Italie a préservé son enseignement classique (ce qui expliquerait l’aisance des jeunes Italiens à s’adapter, partout dans le monde…), le Gymnasium allemand a mieux résisté que nos lycées, le gouvernement anglais favorise le retour des humanités dans de nombreux établissements ; quant aux États-Unis, ils proposent aux parents qui en ont les moyens des colleges of arts où le latin et le grec sont enseignés dès la sixième. (NDLR : il n’a pas l’air de s’apercevoir que c’est là un magnifique contre-exemple à son argument de départ ; c’est de l’élitisme pur). Et sur la côte Est, il existe de prestigieux centres de recherche dans lesquels « l’hellénisme et la latinité sont traités à égalité avec l’héritage d’Einstein et d’Oppenheimer ».

 

Alors, que dites-vous de Papy Marco ?

C’est pas de la verdeur d’esprit, ça ?

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