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03/11/2014

La bibliothèque de Warburg

Aby Moritz Warburg est un historien de l'art, né le 13 juin 1866 à HambourgAllemagne et mort également à Hambourg le 26 octobre 1929. Son travail a servi à jeter les bases de l'iconologie, une nouvelle méthode d'analyse qui consiste, à « opérer une décomposition [de l'œuvre] qui en fera apparaître clairement l'hétérogénéité matérielle ou essentielle ».

À la suite de la première guerre mondiale, il est victime d'une psychose aiguë et est interné jusqu'en 1923. Il est mort en 1929 d'une crise cardiaque.

Il laisse derrière lui un héritage important, malgré le caractère spécialisé de ses publications, ainsi qu'une vaste bibliothèque qu'il constitua tout au long de sa vie comprenant 80 000 ouvrages et située en 2006 à l'Institut Warburg à Londres, à la suite du déménagement opéré en catastrophe sous le nazisme [source Wikipedia].

Aby Warburg considérait qu’il y avait d’une part la Naturwissenschaft (science de la nature) et la Kulturwissenschaft (science de la culture, en fait les sciences humaines), dont l’histoire de l’art.

Sa bibliothèque couvre la Kulturwissenschaft et correspond au fonds documentaire de ses propres recherches en histoire de l’art.

La bibliothèque imaginée par Aby Warburg est à plusieurs égards le reflet d’une pensée parmi les plus originales que l’histoire de l’art ait connu. On connaît généralement cette bibliothèque grâce au témoignage d’Ernst Cassirer qui voyait s’y déployer un « ensemble de problèmes ». Le philosophe ne cache pas l’angoisse qu’il ressentit d’abord face à ce labyrinthe de livres dont l’organisation lui échappait. Warburg avait fait graver à l’entrée de sa bibliothèque le mot Mnémosyne, "mémoire" en grec. Il considérait lui-même la bibliothèque comme son œuvre la plus importante. L’ordre de classement des livres, qu’il révisait presque chaque jour, devait sembler chaotique pour qui n’était pas familier de l’« espace de pensée » [Denkraum] warburgien. Pas de classement par discipline ou de classement chronologique, mais un classement thématique qui obéissait à la « loi de bon voisinage ». La bibliothèque Warburg, immense fonds de mémoire culturelle où les savoirs se décloisonnaient, accompagnait la recherche de manière inédite. Véritable laboratoire pratique où le savoir était mis à l’épreuve, la salle de lecture en ellipse de la bibliothèque constituait comme une « arène » où les chercheurs mettaient à profit les livres et leur agencement si particulier.

(source : Maud Hagelstein, « Mémoire et Denkraum. Réflexions épistémologiques sur la Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg », Conserveries mémorielles, #5 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2008, URL : http://cm.revues.org/104).

Voici quelques éléments issus de l’article de Maud Hagelstein.

La bibliothèque imaginée par Aby Warburg reflète sa personnalité de chercheur…

[Friman et allii] reconnaissent l’importance d’une bonne connaissance de la pensée de Warburg pour comprendre la proximité de certains livres appartenant  à des thématiques apparemment hétérogènes…

On posera donc l’hypothèse suivante : étudier l’organisation de la bibliothèque Warburg devrait éclairer une série de choix épistémologiques décisifs qui parcourent aussi l’œuvre écrite. Trois axes de réflexion méthodologiques… : … les pratiques d’organisation des documents… la pertinence des frontières entre les différentes disciplines (mises en cause par l’idée d’une bibliothèque consacrée à la Kulturwissenschaft, qui placerait l’art au cœur de la vie et des multiples formes de pensée ou d’action qu’elle génère)… les rapports du chercheur aux lieux institutionnels du savoir.

Avec l’aide financière de sa famille, ce n’est qu’à partir de 1901-1902 que l’historien de l’art collectionne les livres de manière véritablement systématique et professionnelle…

Les ouvrages n’y sont pas classés chronologiquement ; ils ne sont pas non plus regroupés par nom d’auteur. L’ordre alphabétique risquerait de cacher les relations entre les livres et de rendre les regroupements artificiels…

Chaque chercheur… pourrait expliquer ce qui l’incite à regrouper les textes sur lesquels il travaille. Dans l’intimité de leurs bureaux, les théoriciens favorisent, entre les ouvrages, des regroupements qui correspondent au travail du moment, à l’argument qu’ils pensent par exemple déployer dans un article, etc.

L’originalité (ou la folie) de Warburg est d’avoir voulu étendre ce principe subjectif à une bibliothèque entière… Chaque progrès dans son système de pensée, chaque nouvelle idée portant sur l’interrelation de faits, l’amenait à regrouper les livres correspondants… La loi de bon voisinage est l’expression curieuse que Warburg choisit de donner au principe établi pour sa bibliothèque. Cette loi repose sur l’idée que le livre que l’on cherche, dans bien des cas, n’est pas le livre dont on a réellement besoin. Par contre, grâce à l’organisation thématique des étagères, il est probable que le livre d’à côté, bien qu’on ne puisse le deviner à son titre, contienne l’information vitale. La loi de bon voisinage repose sur un modèle horizontal plutôt que hiérarchique… C’est la recherche elle-même qui justifie l’organisation générale : suivant des motifs personnels, le chercheur juge que tel et tel livre feront de bons voisins.

(a contrario) Il ne sera pas aussi facile de trouver un livre précis dans cette bibliothèque que dans n’importe quelle autre obéissant à un classement alphabétique ou numérique… comme si l’épreuve du labyrinthe était indispensable au progrès de la recherche.

Aucun no man’s land n’accueille les livres les plus périphériques ou isolés, chaque titre est connecté à la somme bibliographique totale, comme à un organisme vivant. Chaque livre est intégré à un immense tissu.

L’exigence warburgienne impliquait de multiplier les points de vue, les approches, les compétences de la recherche sur l’image.

Pour Warburg, toute collection (de livres) se doit d’être vivante et de susciter des expériences. La bibliothèque est une réserve à partir de laquelle les activités de recherche se déploient… La bibliothèque de Warburg était bien plus qu’un espace de rangement et de classement de livres… elle avait pour tâche principale de construire le Denkraum des disciplines attachées à l’histoire de l’art.

                                                         

 

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