18/09/2017
"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique IV
Encore quelques mots sur « La fortune des Rougon » avant de conclure (y passer plus de temps serait une injure à tous les auteurs dont j’ai lu les œuvres magnifiques, ne serait-ce que cet été !).
Tiens, un exemple du romantisme du roman « C’étaient les morts qui leur soufflaient leurs passions disparues au visage, les morts qui leur contaient leur nuit de noces, les morts qui se retournaient dans la terre, pris du furieux désir d’aimer, de recommencer l’amour. Ces ossements, ils le sentaient bien, étaient pleins de tendresse pour eux ; les crânes brisés se réchauffaient aux flammes de leur jeunesse, les moindres débris les entouraient d’un murmure ravi, d’une sollicitude inquiète, d’une jalousie frémissante. Et quand ils s’éloignaient, l’ancien cimetière pleurait » (page 80). Et un peu plus loin : « Cette odeur âcre et pénétrante qu’exhalaient les tiges brisées, c’était la senteur fécondante, le suc puissant de la vie, qu’élaborent lentement les cercueils et qui grisent de désirs les amants égarés dans la solitude des sentiers ». et d’évoquer « des tombes mal fermées brûlant de servir de couche aux amours de ces deux enfants »… Charmant, non ? Réminiscences de Baudelaire et de sa charogne ?
On nous dira que c’est l’une des caractéristiques de Zola que de donner vie aux choses inanimées… peut-être, mais est-ce pour autant agréable à lire ?
Les expressions maladroites – volontaires ou non, on ne sait – sont monnaie courante : « en effet, la joie faisait un tel vacarme dans sa tête que, par moments, elle devenait sourde, l’esprit perdu en pleine jouissance », « et, montrant ses dents branlantes de vieille, elle ajouta avec un rire de gamine » (page 122 du volume II) et, page suivante, « elle ne jeta plus sur les fenêtres d’en face que des coups d’œil sournois, pleins d’une horreur voluptueuse » (en fait d’oxymore, on a fait bien mieux !).
Le mépris pour les notables de province, simulé ou non, est palpable ; il est même grossièrement exprimé, Zola ne craignant de faire dire à son narrateur : « À Plassans, le maire avait sous la main d’incroyables buses, de purs instruments d’une complaisance passive » et « crise étonnante, qui mettait le pouvoir entre les mains d’un homme taré » (page 139).
En voilà assez…
Peut-être que le tome suivant, « La curée », me fera changer d’avis ?
V.3 du 21 septembre 2017
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14/09/2017
"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique III
Mon opinion sur Zola – ou plus exactement sur le premier tome des Rougon-Macquart – c’est une chose… mais qu’en pensent les vrais critiques, les gens savants ?
Jean d’Ormesson, dans le tome II de son « Autre histoire de la littérature française » (NiL éditions, 1998) n’en dit pas grand chose ! Une grande partie de l’article est consacrée à l’homme Zola et à sa vie, un peu à sa position de chef d’une école, le naturalisme, et à l’ambition de son œuvre maîtresse, mais rien sur son style. Voici ce qu’il écrit : « La faiblesse de Zola, aujourd’hui, est ce qui faisait, hier, sa force et sa nouveauté : la parti pris scientifique – ou pseudo-scientifique –, le côté roman à thèse, la manie expérimentale, l’esprit systématique. L’impression synthétique que laissent les romans de Zola, c’est la puissance irrésistible d’un souffle épique indifférent aux systèmes et aux étiquettes et qui réussit à trouver l’homme sous l’homme et, sous chacun de ses désirs, le monde entier qui rêve » (page 163). Il ajoute que Nietzche et Dostoïevski le méprisaient, alors que Thomas Mann considérait que « son univers était haussé jusqu’au surnaturel ». Au total rien qui fasse écho à ce que l’on peut lire dans « La fortune des Rougon »…
E. Abry, C. Audic et P. Crouzet dans leur « Histoire illustrée de la littérature française » (H. Didier éditeur, 1942) sont expéditifs ! Le roman naturaliste n’a droit qu’à quelques pages sur les 855 de l’ensemble et l’article sur Zola, coincé entre les frères Goncourt et Alphonse Daudet, ne compte qu’une page et demie. Zola est jugé « une nature beaucoup moins raffinée mais plus puissante que les Goncourt »… Et on lit « En dépit de la crudité de trop nombreux passages, l’imagination a autant de part dans l’œuvre de Zola que l’observation (…). C’est enfin l’imagination qui empêche Zola, bourgeois rangé, vivant au milieu de toutes les turpitudes de ses personnages, de perdre la foi en un idéal de fraternité et de justice » (page 625).
Ch.-M. des Granges, dans ses « Morceaux choisis des auteurs français » (Librairie A. Hatier, 1940), donne un extrait de « la Bête humaine » entre Guy de Maupassant et Claude Farrère (?) et se borne à écrire que « Zola semble n’avoir distingué dans la réalité que ce qu’elle a de plus triste et souvent de plus honteux. Mais on ne peut lui refuser une grande puissance d’imagination et une certaine force dans le style » (page 1503). Il n’en avait pas dit plus dans son recueil « Les romanciers français 1800-1930 » (Librairie A. Hatier, 1936), où il donne des extraits de « Germinal », « Le ventre de Paris » et « L’assommoir ». Si, il ajoutait : « On doit faire d’ailleurs d’expresses réserves sur les abus de son réalisme » (page 288).
Pierre Bornecque dans « La France et sa littérature » (Les Éditions de Lyon, 1953) est beaucoup plus disert. Il consacre trois pages denses à Zola avec quantité d’analyses et de commentaires. Pour lui, « Les Rougon-Macquart » contiennent deux chefs d’œuvre, « L’assommoir » et « Germinal » (alors que « La comédie humaine » de Balzac en compte une quinzaine). Tout le cycle est ausculté de multiples points de vue : ainsi, « La fortune des Rougon » qui nous occupe aujourd’hui ressortit au genre « province » et étudie le coup d’État. D’un côté « la valeur des Rougon-Macquart est considérable car ils tracent un tableau complet de la société du Second Empire » et de l’autre « son importance littéraire est très discutée. On lui reproche ses prétentions scientifiques, sa psychologie fausse ou simpliste des individus, sa documentation insuffisante sur la bourgeoisie, son monde de tristes crapules, son style lourd, grossier, cynique, qui reproduit la langue et l’argot du peuple et donne un bain de vulgarité cruelle. Mais on lui doit un puissant animisme visionnaire qui a créé tout un monde mystérieux et passionné, un style lyrique ou épique, intense, imagé, plein de mots techniques des métiers, tout un jeu de gradation, comparaisons, etc. aux effets intenses » (page 551).
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11/09/2017
"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique II
Zola est meilleur quand il narre les relations conjugales, l’évolution des caractères ou l’emprise des passions sur les destinées. Ainsi des premiers mois du mariage d’Antoine Macquart et de Joséphine Gavaudan, dite Fine, qui commence bien et tourne rapidement vinaigre : « À partir de ce moment (NDLR : une dispute qui se termine en bagarre entre les époux ivres), les Macquart prirent le genre de vie qu’ils devaient continuer à mener. Il fut comme entendu tacitement entre eux que la femme suerait sang et eau pour entretenir le mari. Fine, qui aimait le travail par instinct, ne protesta pas. Elle était d’une patience angélique, tant qu’elle n’avait pas bu, trouvant tout naturel que son homme fût paresseux, et tâchant de lui éviter même les plus petites besognes » (page 201). On pense à Giono à de certains endroits.
Au début du deuxième volume recommence la cavale et l’idylle des deux jeunes gens, racontée de façon mièvre et fade : « Miette ne se défendait plus. C’était elle, maintenant, qui collait sa bouche sur celle de Silvère, qui cherchait avec une muette ardeur cette joie dont elle n’avait pu d’abord supporter l’amère cuisson » (page 19). Après les métaphores improbables, les oxymores maladroits. Quant à la cuisson des baisers…
« Elle semblait vouloir épuiser, avant de se coucher dans la terre, ces voluptés nouvelles, dans lesquelles elle venait à peine de tremper les lèvres, et dont elle s’irritait de ne pas pénétrer sur-le-champ tout le poignant inconnu. Au-delà du baiser, elle devinait autre chose qui l’épouvantait et l’attirait, dans le vertige de ses sens éveillés. Et elle s’abandonnait ; elle eût supplié Silvère de déchirer le voile, avec l’impudique naïveté des vierges » (page 19). Sans commentaire…
Plus loin on peut lire : « Sa nature puissante et libre avait le secret instinct des fécondités de la vie. C’est ainsi qu’elle refusait la mort, si elle devait mourir ignorante » (page 20).
Et page 21, voici comment Zola qualifie cette amourette dans les bois et en plein hiver : « Les jeunes gens, jusqu’à cette nuit de trouble, avaient vécu une de ces naïves idylles qui naissent au milieu de la classe ouvrière, parmi ces déshérités, ces simples d’esprit, chez lesquels on retrouve encore parfois les amours primitives des anciens contes grecs ». Les rejetons des riches ne vivraient donc pas eux aussi de naïves idylles ?
Page 75, on y est toujours : « La rivière n’avait plus pour eux qu’une ivresse amollie, un engourdissement voluptueux, qui les troublait étrangement. Quand ils sortaient du bain, surtout, ils éprouvaient des somnolences, des éblouissements. Ils étaient comme épuisés (…). Silvère qui se tenait à quelques pas, la tête vide, les membres pleins d’une étrange et excitante lassitude (…). Ils reprirent leurs longues causeries. Il ne resta dans l’esprit de Silvère, du danger que venaient de courir leurs amours ignorantes, qu’une grande admiration pour la vigueur physique de Miette ».
Sans doute était-ce là à l’époque (la fin du XIXème siècle) les seules choses que l’on pouvait écrire sur le sujet…
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