14/09/2017
"La fortune des Rougon" (Émile Zola) : critique III
Mon opinion sur Zola – ou plus exactement sur le premier tome des Rougon-Macquart – c’est une chose… mais qu’en pensent les vrais critiques, les gens savants ?
Jean d’Ormesson, dans le tome II de son « Autre histoire de la littérature française » (NiL éditions, 1998) n’en dit pas grand chose ! Une grande partie de l’article est consacrée à l’homme Zola et à sa vie, un peu à sa position de chef d’une école, le naturalisme, et à l’ambition de son œuvre maîtresse, mais rien sur son style. Voici ce qu’il écrit : « La faiblesse de Zola, aujourd’hui, est ce qui faisait, hier, sa force et sa nouveauté : la parti pris scientifique – ou pseudo-scientifique –, le côté roman à thèse, la manie expérimentale, l’esprit systématique. L’impression synthétique que laissent les romans de Zola, c’est la puissance irrésistible d’un souffle épique indifférent aux systèmes et aux étiquettes et qui réussit à trouver l’homme sous l’homme et, sous chacun de ses désirs, le monde entier qui rêve » (page 163). Il ajoute que Nietzche et Dostoïevski le méprisaient, alors que Thomas Mann considérait que « son univers était haussé jusqu’au surnaturel ». Au total rien qui fasse écho à ce que l’on peut lire dans « La fortune des Rougon »…
E. Abry, C. Audic et P. Crouzet dans leur « Histoire illustrée de la littérature française » (H. Didier éditeur, 1942) sont expéditifs ! Le roman naturaliste n’a droit qu’à quelques pages sur les 855 de l’ensemble et l’article sur Zola, coincé entre les frères Goncourt et Alphonse Daudet, ne compte qu’une page et demie. Zola est jugé « une nature beaucoup moins raffinée mais plus puissante que les Goncourt »… Et on lit « En dépit de la crudité de trop nombreux passages, l’imagination a autant de part dans l’œuvre de Zola que l’observation (…). C’est enfin l’imagination qui empêche Zola, bourgeois rangé, vivant au milieu de toutes les turpitudes de ses personnages, de perdre la foi en un idéal de fraternité et de justice » (page 625).
Ch.-M. des Granges, dans ses « Morceaux choisis des auteurs français » (Librairie A. Hatier, 1940), donne un extrait de « la Bête humaine » entre Guy de Maupassant et Claude Farrère (?) et se borne à écrire que « Zola semble n’avoir distingué dans la réalité que ce qu’elle a de plus triste et souvent de plus honteux. Mais on ne peut lui refuser une grande puissance d’imagination et une certaine force dans le style » (page 1503). Il n’en avait pas dit plus dans son recueil « Les romanciers français 1800-1930 » (Librairie A. Hatier, 1936), où il donne des extraits de « Germinal », « Le ventre de Paris » et « L’assommoir ». Si, il ajoutait : « On doit faire d’ailleurs d’expresses réserves sur les abus de son réalisme » (page 288).
Pierre Bornecque dans « La France et sa littérature » (Les Éditions de Lyon, 1953) est beaucoup plus disert. Il consacre trois pages denses à Zola avec quantité d’analyses et de commentaires. Pour lui, « Les Rougon-Macquart » contiennent deux chefs d’œuvre, « L’assommoir » et « Germinal » (alors que « La comédie humaine » de Balzac en compte une quinzaine). Tout le cycle est ausculté de multiples points de vue : ainsi, « La fortune des Rougon » qui nous occupe aujourd’hui ressortit au genre « province » et étudie le coup d’État. D’un côté « la valeur des Rougon-Macquart est considérable car ils tracent un tableau complet de la société du Second Empire » et de l’autre « son importance littéraire est très discutée. On lui reproche ses prétentions scientifiques, sa psychologie fausse ou simpliste des individus, sa documentation insuffisante sur la bourgeoisie, son monde de tristes crapules, son style lourd, grossier, cynique, qui reproduit la langue et l’argot du peuple et donne un bain de vulgarité cruelle. Mais on lui doit un puissant animisme visionnaire qui a créé tout un monde mystérieux et passionné, un style lyrique ou épique, intense, imagé, plein de mots techniques des métiers, tout un jeu de gradation, comparaisons, etc. aux effets intenses » (page 551).
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