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06/11/2024

"Vauban ou la mauvaise conscience du roi" (Alain Monod) : critique II

Je ne sais pas ce qui est le plus admirable dans ces initiatives de Vauban : sa lucidité et sa hauteur de vue sur deux aspects fondamentaux de la vie en société ou bien sa persévérance et son obstination à convaincre malgré les rebuffades parfois humiliantes de son ministre de tutelle (lire page 78 la féroce réplique de Louvois en octobre 1687 !) et au-delà malgré l’indifférence de son souverain. Il n’aura de cesse en effet de remettre cent fois sur le métier son ouvrage, multipliant les refontes et les ajouts à ses mémoires, jusqu’à la fin de sa vie. 

N’oublions pas, au-delà de la passion de convaincre, la profondeur de l’analyse et la qualité de l’argumentation de ces mémoires. Quatre ans après la révocation (en 1685) de l’Édit de Nantes (qui, depuis Henri IV, donnait aux Protestants la liberté de pratiquer leur religion dans le royaume), voici en résumé ce que dit Vauban :

  • l’Édit de Fontainebleau est inapplicable !
  • il a conduit à l’exil d’environ cent mille personnes qui ont emporté leur argent avec elles, au départ de compétences uniques qui étaient enviées dans toute l’Europe, à la ruine d’une partie du commerce, au renforcement des flottes ennemies par des milliers de matelots expérimentés et des armées étrangères par des centaines d’officiers et des milliers de soldats, à l’installation hors du royaume d’écrivains qui se sont déchaînés contre le roi lui-même
  • les conversions forcées ont concouru à liguer les États protestants de l’Europe entière contre la France (page 82 et suivantes).

Bien plus, Vauban argumente pour la liberté de conscience :

  • les persécutions n’ont jamais converti personne et même ont renforcé le camp des Huguenots ;
  • au contraire elles ont développé une martyrologie dans ce camp ;
  • la fabrique obstinée de faux convertis porte atteinte à l’Église et même au roi.

Au bout du bout, il affirme en substance que « le libre arbitre d’un sujet du roi est consubstantiellement lié à la personne humaine. Rien ne peut l’abolir. Aucune contrainte. Aucune persécution. Et cette liberté de conscience ne compromet pas l’unité du royaume, pas plus que l’allégeance des sujets à leur roi. Le crédit, l’autorité, la personne du monarque ne sont pas menacés. La liberté reconnue à chacun ne menace pas l’adhésion consentie par tous au pouvoir ». Alain Monod résume : « C’est une réflexion totalement étrangère aux préoccupations des puissants du royaume. Elle est déplacée, quasi inconvenante. Et par conséquent, pour Louvois, sans objet » (page 94). En fait, c’est proprement « révolutionnaire » ! Et c’est à comparer avec les louanges que décerneront lors de ladite révocation Mme de Sévigné, Bossuet, La Fontaine, La Bruyère, d’autres sans doute, notre admiration pour ces grands esprits dût-elle en souffrir...

Au risque de tomber dans l’anachronisme, il faut bien avouer que Vauban avait raison. Mais il ne s’arrête pas là : en 1698, il a 55 ans et il se lance dans une autre croisade. Constatant la misère du peuple français, il propose une grande réforme fiscale, consistant à imposer tous les revenus à un taux uniforme de 10 %. Aujourd’hui on l’appellerait, à la suite de Mme Thatcher, flat tax et on lui trouverait immédiatement le vice fondamental qu’elle impose de la même façon les hauts revenus et les bas revenus (aucune notion de tranche ; aucun effet de progressivité). Mais à l’époque, sa grande innovation, qui serait de rendre imposables toutes les classes sociales (alors que l’aristocratie et le clergé en sont dispensées,) la condamne tout autant – sinon plus – que la question des Huguenots. Là, il va avoir tous les puissants contre lui...

Sa conviction, il la forge au cours de ses innombrables voyages à travers des provinces du pays, qui lui ont permis de constater la misère et les souffrances du peuple, misère qu’il attribue à l’injustice du système fiscal. Ce dernier date de la décennie 1450–1500. « Des impôts directs frappent la terre, la maison, les personnes (la taille)... et s’ajoutent aux aides, aux traites et à la gabelle. La taille doit son nom au fait qu’une fois payée, les collecteurs gravent à titre de reçu son montant sur une taille de bois. Elle est due par les paysans, les ouvriers, les bourgeois. En étaient exempts, les nobles, le clergé et les officiers, c’est-à-dire les propriétaires de fonctions publiques. Les autres étaient taillables » (page 104).

Les impôts indirects étaient perçus par des fermiers ou traitants, moyennant une somme forfaitaire payé à l’avance à l’État. Le luxe de Vaux-le-Vicomte semble bien venir de la fortune amassée par le surintendant Fouquet lors de la perception de ces impôts. Ces fermiers étaient détestés par la population et le savant Lavoisier fut victime de cette détestation, puisqu’il terminera à la guillotine.

La gabelle était l’impôt sur le sel, qui était indispensable pour conserver les viandes et les poissons. Le sel était un monopole royal et ne pouvait être vendu que pour le compte de l’État via les fermiers. Chaque famille était contrainte d’acheter chaque année une quantité donnée de sel, qui devait être employé uniquement pour la table ! On peut visiter, à côté de Vézelay, les Fontaines salées, qui ont fourni de tous temps un moyen de contourner l’impôt sur le sel.

Les aides étaient prélevées sur les boissons.

Les traites étaient des droits de douane prélevés sur la plupart des marchandises au passage d’une province à l’autre.

Un autre impôt direct fut créé par le Roi après la mort de Colbert, la capitation : tous les sujets du roi devaient payer une somme liée à leur rang. Bonjour l’égalité devant l’impôt ! 

Alors quelle est donc l’argumentation de Vauban pour promouvoir son imposition uniforme de tous les revenus ? D’abord qu’elle existe ailleurs (en Chine par exemple !), ensuite qu’elle existe dans le royaume (c’est la dîme ecclésiastique), enfin qu’elle coûte moins cher à percevoir, qu’elle est facile à moduler par le Pouvoir et que son calcul est simple et connu de tous. Pour sa démonstration, Vauban redéfinit le rôle de l’État et de l’impôt : l’État doit protéger les citoyens et, pour ce faire, il doit être financé par une contribution de ces citoyens. Cela fait penser à l’une des propositions du philosophe Hobbes (sauf erreur) : le citoyen renonce à se faire justice lui-même au profit de l’État qui lui doit protection et qui a, pour ce faire, le monopole de la violence (légitime). 

Je m’arrête là dans l’analyse du livre et laisse le lecteur découvrir ce que furent les dernières années de Vauban (son testament « secret », les poursuites contre son livre imprudemment imprimé, le rhume et la fièvre, et enfin son décès et ses obsèques dans un silence... royal). 

Il est dommage que, sur la forme, le livre de M. Monod ne soit pas à la hauteur du sujet qu’il traite... Pas tellement parce que le style de l’auteur est assez quelconque, avec de nombreuses répétitions, mais parce que la relecture de son texte n’a manifestement pas été faite : que de coquilles !

  • il manque tantôt un « e » au féminin, tantôt un « s » au pluriel ;
  • le « A » majuscule en début de phrase n’est pas accentué ;
  • dans une note du bas de la page 35, le biographe de Fouché est nommé Stefan Sweig ;
  • « détonant » avec trois n comme « étonnant » page 77 (la phrase vaut la peine d’être citée en entier : « mélange des genres étonnant et à coup sûr détonnant, voir explosif » ;
  • en conséquence, on ne sait plus si c’est une erreur de dactylographie ou bien la graphie de l’époque, quand on voit « pele-mêlées » dans une citation de Vauban (page 32) et « lui même » page 43 ;
  • on lit page 22 : « Vauban est désormais au seuil de sa gloire » et deux pages plus loin : « Vauban, sexagénaire, fondateur du génie militaire, est au fait de sa gloire... » (sic). Faut-il comprendre que Vauban « avait conscience de sa gloire » ?
  • « Dans une lettre à Louvois du 20 janvier 1673, écrite à l’attention du roi... » (page 32)... Il me semble que l’expression « à l’intention du roi » eût été plus adéquate ;
  • « huguenots » sans majuscule... ; « elle dut concevoir une réelle sympathie » avec un accent circonflexe sur « dut »... (page 98).

Et que dire des textes fournis en annexe, à l’appui de la synthèse de M. Monod ! Reproductions des documents originaux, ils sont malheureusement quasi illisibles car imprimés en de tout petits caractères... C’est tout de même gênant dans un livre qui se veut exégétique !

À propos de vocabulaire, j’ai appris le mot « poliorcète » : stratège spécialisé dans l’art de mener un siège, en offense ou en défense.

Comme l’a fait Alain Monod dans son livre, terminons ce billet par l’éloge officiel de l’Académie royale des Sciences par la voix de son secrétaire perpétuel Fontenelle : « Personne n’a été si souvent que lui, ni avec tant de courage, l’introducteur de la vérité ; il avait pour elle une passion presque imprudente, et incapable de ménagement… En un mot, c’était un Romain, qu’il semblait que notre siècle eût dérobé au plus heureux temps de la République » (page 149).

Au total, c’est donc un essai fort intéressant sur un personnage du Grand Siècle dont on ne connaissait pas les passions éloignées du domaine militaire et qui était si en avance sur son temps. Je le recommande à tous les férus d’histoire.

03/11/2024

"Vauban ou la mauvaise conscience du roi" (Alain Monod) : critique I

L’avocat et historien Alain Monod a publié en 2008, chez Riveneuve Éditions (en français : Les éditions Riveneuve...), un livre fort intéressant sur un personnage très célèbre (celui qui a imaginé et construit les fameuses fortifications autour de l’Hexagone, en tant que Lieutenant général des armées du Roi) mais à propos de deux aspects peu connus du personnage : son parti pris pour la liberté de culte de la Religion réformée d’une part et sa proposition d’un chamboulement complet du système fiscal de l’époque d’autre part. Bien sûr, le Roi en question, c’est Louis XIV, qui est peint ici comme un souverain peu lucide, entêté et obsédé par la guerre.

Ce n’est évidemment pas le premier livre consacré à Vauban ; la bibliographie fournie en annexe en dénombre une vingtaine, dont celui d’une de nos connaissances : Bernard Pujo (l’auteur d’une « Histoire de Vézelay » dont nous avons parlé antérieurement dans ce blogue). Cette « proximité » n’est pas un hasard ! Alain Monod écrit justement page 53 : « Il est vrai que la seigneurie de Bazoches (Vauban y a son château) a pour voisine la prospère abbaye de Vézelay, connue dans l’histoire pour sa capacité à saigner les terres relevant de sa mouvance » (soit dit en passant, les deux livres que j’ai lus sur l’histoire de Vézelay ne sont pas aussi sévères avec les abbés...). Mes lecteurs se rappelleront que ces trois livres font partie de ma propre « Suite littéraire de Vézelay » (cf. mon billet du 8 juillet 2024 : Vézelay : suite littéraire).

« Vauban ou la mauvaise conscience du Roi », donc, n’est pas une biographie du Maréchal de France ! La naissance et la carrière de Vauban sont expédiées en 7 pages et résumées sous forme de « Repères chronologiques » en annexe. Non, il s’agit ici de mettre en avant les deux grandes affaires – non militaires – qui l’ont occupé jusqu’à sa mort en 1707 (huit ans avant celle du Roi-Soleil) et auxquelles il a consacré sa fougue, sa persévérance, son honnêteté intellectuelle, sa rigueur, sa détestation de l’injustice, au risque même d’indisposer son souverain que pourtant il servait avec une fidélité indéfectible. Par ces deux contributions écrites, maintes fois amendées et complétées, il anticipait la Révolution qui proclamera la fin de la monarchie presque un siècle plus tard.

Dire, comme dans le sous-titre de l’essai, qu’il fut « la mauvaise conscience du roi », est peut-être excessif, voire anachronique, car Alain Monod lui-même présente le roi en question comme un monarque indifférent, en règle générale, à tout ce qui n’est pas lui, et en particulier aux suggestions qui ne cadrent pas avec ses convictions. Ceux qui ont osé s’opposer à lui – ou simplement les personnages dont l’étoile a pâli à ses yeux – l’ont payé cher, au minimum par un bannissement de la Cour. Ce ne fut pas le cas de Vauban qui était très apprécié de Louis XIV et même admiré par lui ; le roi se contenta de faire la sourde oreille et d’ignorer les propositions de son Lieutenant général.

 Ce militaire, expert en sièges de ville et de places fortes, et en fortifications très difficiles à prendre, ne se contente pas d’apporter ses compétences en attaque et en défense au roi de France : il s’exprime ouvertement sur tous les sujets connexes : les territoires qu’il n’aurait pas fallu revendiquer, ceux pour qui au contraire on aurait dû le faire, les résultats des traités, certaines décisions du roi (l’acceptation du testament espagnol de Charles II en 1700...). C’est déjà miracle qu’il ait pu afficher de telles critiques sans encourir la disgrâce du monarque absolu...

 J’aurais d’ailleurs aimé trouver quelques « développements pour non-spécialistes » sur l’apport de Vauban au génie militaire, et aussi sur sa méthode d’estimation des coûts qui, je crois l’avoir vu dans une exposition il y a longtemps, était innovante pour l’époque. Mais, bien sûr, tout cela n’était pas l’objet de l’essai de M. Monod.

La guerre et les conquêtes ne sont pas les seuls domaines sur lesquels il donne son avis et fait part de sa désapprobation : catholique convaincu mais modéré, il n’épargne pas l’Église, certains prélats et surtout les moines, qu’il déteste.

 Mais, au-delà de ses compétences professionnelles et de ses irritations, admiré et respecté de tous, il ne craint pas de sortir de sa « zone de confort » en s’attelant à deux sujets ardus qui ne peuvent que lui attirer des ennuis en cette période d’absolutisme : la tolérance religieuse (il nous a fallu, à nous, attendre la loi de 1905 !) et la justice fiscale. Comment ne pas y trouver une résonance avec nos débats d’aujourd’hui ?

30/09/2024

"Lettres à Ysé" (Paul Claudel) : critique III

Et Rosalie dans tout cela ? Jacques Julliard écrit : « On la savait belle et séductrice, grande, d’un port altier quand elle marche et d’une grâce alanguie quand elle s’étend sur un transatlantique, dotée d’un rire éclatant qui va ébranler le petit consul jusqu’à la moelle de ses os. On la découvre capricieuse, narcissique, dépensière, avec des goûts de luxe et dépourvue de tout sens pratique, mais aussi, à sa manière imprévisible, tendre, affectueuse, intuitive ; et surtout, lorsque l’âge se fait sentir, geignarde, toujours malade et, sous l’influence de Claudel, pieuse et secrète ». « Une incarnation presque trop parfaite de l’éternel féminin ». Je ne sais pas si « tout est dit » dans ces quelques phrases mais c’est bien en tous cas l’impression qu’elle donne à travers les lettres à elle adressées : une sorte d’Odette de Crécy... Et c’est là que le pathétique de cette correspondance – et de son auteur – nous saisit : quels que soient les torts du consul de France, il donne l’impression de se torturer pour une insouciante, qui n’a jamais voulu lire les poèmes qu’elle lui a inspirés ni assister à la représentation d’aucune de ses pièces, qui n’en fait qu’à sa tête avec ses meubles, son logement, ses enfants, y compris avec leur fille Louise, qui dépense à sa guise l’argent qu’il lui envoie, sans jamais tenir compte de ses recommandations ou de ses suppliques maintes fois réitérées... Et que dire de cette réapparition dans la vie de l’écrivain le 2 août 1917, comme par hasard au moment-même où son second mari l’abandonne ? N’oublions pas, d’autre part, que Rosalie dans l’aventure de 1904 (son retour en Europe) a tout bonnement abandonné deux de ses quatre enfants, dont heureusement Claudel et la gouvernante Miss Wright s’occuperont, jusqu’à ce que le père de Francis Vetch vienne les récupérer. Absente, elle ne daigne même pas répondre aux appels de ses enfants– les plus jeunes de la fratrie !

 D’un simple point de vue littéraire, les Lettres à Ysé sont décevantes – mais peut-être l’attente d’autre chose était-il naïf ? – car sur la forme elles pourraient être celles de tout un chacun. Ne parlons même pas des quelques imperfections orthographiques (absences d’accent circonflexe à « côté », « des majuscules intempestives : « Novembre » et aussi « nourriture Japonaise », « les prisons Chinoises »), des pléonasmes (« au jour d’aujourd’hui »). Mais les descriptions (les cerisiers en fleurs, le théâtre No...) sont rares, le gros du discours est prosaïque et inlassablement répétitif : aller retirer le chèque chez un intermédiaire, quitter Paris pour la Province pour payer moins cher, faire revenir les meubles de Londres, aller voir les Berthelot, confier l’éducation musicale de Louise à Mme Gills, etc. On comprend que Rosalie n’en tient guère compte...

Il y a, dans la lettre 91, datée 18 avril 1923, un passage intéressant, que Gérald Antoine n’évoque pas dans son Introduction, pourtant encyclopédique : celui dans lequel Paul Claudel conseille des livres à faire lire à sa fille Louise. « Un bon Atlas, il n’y a rien de plus amusant à regarder et à feuilleter – Les Mémoires de Saint Simon (20 volumes). Très amusant à feuilleter – Les Mémoires d’outretombe (6 volumes) de Chateaubriand. Excellent, amusant et bien écrit (sic !) (...) – La divine comédie de Dante – Crime et châtiment, La maison des ports, Humiliés et offensés de Dostoïevsky et en général tous les romans de cet auteur (...) – Labiche (pour rire un peu) (...) Si tu crois que le moment est venu de montrer à Louise tous les côtés de la vie, tu pourrais lui faire lire Balzac (...) et le Rouge et le Noir de Stendhal (...) En tous cas, comme condition absolue, je voudrais que tu prennes l’avis du Père Flynn » (page 260).

J’avoue qu’au bout de trois cents pages, on est lassé, et la typographie choisie par Gérald Antoine ne nous aide pas, avec sa profusion de « < > » et d’italiques, et surtout avec sa myriade de notes en fin de volume, qui parfois nous éclairent sur un point précis mais qui, la plupart du temps, se contentent de renvoyer à une autre lettre (repérée seulement par sa date d’envoi !) ou pire à une page du Journal. Autant la Préface de Jacques Julliard est sobre et en même temps lumineuse, autant l’Introduction de Gérald Antoine est fouillée, alambiquée, voire parfois absconse, dans un style d’écriture assez difficile à lire. Par exemple, on lit ceci page 57 : « Si l’on a choisi de citer ici, comme en avant-première, quelques portions de lettres, c’est non pas tant pour leurs qualités de textes-vedettes, mais pour la lumière qu’elles projettent sur deux partages de vie – celui de midi d’abord, celui de l’après-midi ensuite entre ELLE et LUI peints non plus isolément, mais comme aspirant à ne plus faire qu’un ».

En fait, il y a ici mélange entre un ouvrage destiné au grand public (pour lequel peu importe que les Lettres et le Journal se complètent ou non, et qui préfère une édition sans mention des ratures ou des ajouts en interligne de Claudel...) et un ouvrage destiné aux archéologues de la création littéraire, résultat d’un lourd (et louable) travail de recherche ! De façon amusante, notre spécialiste, dans son Introduction-fleuve – parfois paraphrase des Lettres qu’il commente – anticipe les critiques et déceptions que nous venons de résumer : « Sans prétendre imposer un sens de la visite, on souhaiterait seulement indiquer quelques précautions à prendre, signaler des points de vue à ne pas manquer, attirer l’attention des plus curieux sur telles perspectives à approfondir. Une carte détaillée des pays d’Extrême-Orient ne sera pas inutile (sic !) » et plus loin « On fera donc bien de se tenir sans répit aux aguets, si l’on ne veut point perdre un pouce de l’étoffe d’un discours à double repli » (page 71). 

Au total, je ne recommande ce livre qu’aux passionnés d’histoire littéraire et de la vie intime de Paul Claudel, et, pour ma part, je ne le relirai pas...