04/05/2017
Petites nouvelles du Front (VIII)
Et pendant ce temps (dans les années 2000), que faisait le Ministre ?
La réponse est dans « Les territoires perdus de la République », à la page 220 : Jack Lang adresse une lettre à l’ensemble des responsables de l’Éducation nationale, des chefs d’établissement et des professeurs.
Dans une situation internationale « marquée au Moyen-Orient par la recrudescence de tensions d’une gravité alarmante et par l’accélération d’affrontements meurtriers ».
Il refuse « vigoureusement tout amalgame » et réagit à « la recrudescence d’agressions antijuives » (eh oui ! d’un alinéa à l’autre, le même mot – recrudescence – est répété… Pas terrible comme dissertation !).
« De tels actes (…) n’ont pas droit de cité dans notre démocratie. Ils sont illégaux, comme est illégale toute forme de racisme » (on s’en doute).
« C’est le rôle et le devoir de l’école de la République que d’enseigner, sans relâche, les principes d’égalité et de fraternité qui sont le socle de notre coexistence nationale ».
« J’invite les professeurs à rappeler ces principes. Ils monteront combien la violation de ces règles a toujours ensanglanté l’Histoire et quelles tragédies elle a engendrées pour l’humanité ».
« J’encourage toutes les démarches visant à maintenir, au sein de l’école, le climat de sérénité et de compréhension réciproque qui est l’esprit même de la laïcité républicaine et permet à tous les élèves de devenir à la fois adultes et citoyens ».
Voilà, c’était le 2 avril 2002, et c’est tout.
Ils étaient invités et encouragés… J’imagine ce qu’ont pu faire de cette circulaire les professeurs du lycée dont j’ai parlé dans le billet du 4 mai 2017…
20 jours plus tard, c’était le 21 avril 2002.
Peut-être est-ce une explication ?
12:30 Publié dans Actualité et langue française, Bensoussan Georges, Économie et société, Essais, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
Petites nouvelles du Front (VII)
Retour encore aujourd’hui, aux « Les territoires de la République », avec le texte de Élise Jacquard « Un cas de dés-école» (pages 282 à 326). Pour le coup, cet article est long, très long et il constitue même la troisième partie de l’ouvrage.
En vérité, il est construit de telle façon, l’auteur utilise un tel ton, qu’il faut au lecteur une dizaine de pages pour se convaincre que c’est un témoignage et non pas une œuvre de fiction ! Et il faut aussi beaucoup de concentration pour bien comprendre sa position, pas du tout manichéiste et donc ne pas la trahir dans ces lignes.
La façon de « planter » le décor (c’est presque un jeu de mots…), pages 282 et 283, est magistrale et percutante : tout ce qui caractérisait ce lycée « technique » de la banlieue nord de Paris dans les années 70 (bons résultats, bonne ambiance, investissement total du corps professoral et administratif et, en « produit de sortie », des élèves que l’on s’arrache dans les entreprises) peut servir à décrire la situation trente ans plus tard : il suffit de prendre le contrepied de chaque terme !
Élise Jacquard reconnaît que « la vieille garde » de professeurs est enviée par les nouveaux professeurs qui n’ont jamais connu que la situation dégradée actuelle (qu’elle appelle "la désinstitutionnalisation postmoderne") : parce qu’ils sont arrivés à l’âge où l’on calcule ses points de retraite… Vivement la quille !
Dès les années 80, les difficultés sont apparues : « Les élèves ne maîtrisant pas la langue, et encore moins les abstractions conceptuelles, peinent à organiser leurs idées ».
L’amertume est visible : de l’échec de M. Savary en 1984 à l’embauche inconsidérée d’enseignants sans expérience ni réelle formation, en passant par le remplacement de certaines filières par d’autres vouées à l’échec, Élise Jacquard énumère les causes, selon elle, de la dégradation. « Les quinze ans de modernisation, c’est-à-dire d’extension de l’ultra-libéralisme, se sont accompagnés d’une véritable lutte de classes entre les anciens collègues républicains (qu’ils soient de droite ou de gauche) et les communicateurs pour qui tout ce qui leur résiste ne peut être le fait que de bourgeois cramponnés à leurs privilèges ».
Dans le troisième paragraphe de l’article, elle aborde le sujet principal du livre : « L’antisémitisme ordinaire est déjà là au commencement de la période de référence en 1975. Comme une évidence ».
« (…) Le racisme traditionnel apparaît en 1983 (…). (Il) permet de tenir à distance le thème de la baisse du niveau (…) » (page 290).
Mais elle met surtout en exergue des pratiques étonnantes de sélection et de mise à l’écart de certaines catégories d’élèves, au besoin par la force, et s’insurge contre l’ostracisme dont ils sont victimes (qu’elle attribue à « l’esprit revanchard du colonialisme désavoué par l’Histoire ou (…) sa version moderne différentialiste »). En somme elle renvoie dos à dos la lâcheté de l’Administration face aux troubles et la ségrégation pratiquée par certains enseignants.
C’est un peu pour la même raison – dénoncer le désintérêt, voire le mépris pour certaines populations (à savoir les filles issues de l’immigration) et le retard pris dans le processus d’intégration – qu’elle prend position pour la fermeté dans l’affaire du voile à l’école (lycée de Creil, 1989). « Le différentialisme est le nouveau visage d’un racisme qui se croit authentiquement progressiste ». « Au fur et à mesure que la population du lycée s’arabise et s’africanise, le différentialisme est encouragé ». « On pourrait résumer l’évolution des Nonantes (les années 90…) par la généralisation du recouvrement des têtes, tant métaphore de la contre-révolution des Lumières que réalité vestimentaire » (page 298).
Le paragraphe 5 décrit une sorte de situation apocalyptique au lycée, mise en correspondance avec l’arrivée de Claude Allègre au ministère… « Les locaux ont perdu leur fonction ». « L’espace du lycée est devenu un volume indifférencié, un hall de gare dans lequel déambulent des corps qui s’opposent en permanence au passage des professeurs. Aucun élève jamais ne cède le pas à un adulte. Chaque croisement est une épreuve de force ou une humiliation ». « Le cœur (de la désinstitutionalisation de masse) en est le rapport personnel et hiérarchique entre l’enseignant et l’enseigné, dorénavant interdit de diverses façons » (page 301). « L’irrationnel et l’arbitraire sont devenus la norme » (page 305).
La description faite dans ces vingt-six dernières pages est tout bonnement hallucinante (désorganisation, absentéisme, vol, racket, violences, agressions sexuelles, injures, bagarres, etc.), il faut le lire pour le croire !
Peut-être est-ce une explication ?
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Bensoussan Georges, Économie et société, Essais, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
03/05/2017
Petites nouvelles du Front (VI)
Retour aujourd’hui, aux « Les territoires de la République », avec le texte de Barbara Lefebvre « Des barbarismes à la barbarie » (pages 211 à 214), paru dans « Le Monde » le 7 mars 2006. L’article est court et sans fioritures. Il va droit au but et le coup est rude pour nous autres qui avons connu des établissements scolaires calmes où il faisait bon vivre. Je le rappelé, cette enseignante écrit en 2002…
« La violence verbale est le lot quotidien des acteurs du monde éducatif (…). Il faut vivre au quotidien ces laboratoires de la haine de l’Autre que sont devenus beaucoup de nos établissements scolaires (…). Pour que soient abolies les barrières morales empêchant le passage à l’acte meurtrier, il faut déshumaniser l’Autre. Cela commence par les mots » (pages 212-213).
« Bienvenue dans le ghetto scolaire fabriqué par nos élites progressistes, adeptes de la contre-culture, surtout quand elle ne vient pas se frotter de trop près à leurs enfants à l’abri dans des établissements prestigieux ou privés. Merci à l’angélisme pédagogique des chercheurs des années 1980 et autres sociologues qui ont contribué à ringardiser la fonction d’éduquer en expliquant que l’école est d’abord un lieu de vie où nous sommes tous, adultes comme élèves, des égaux » (page 213).
« Les barbarismes langagiers préparent le terrain conduisant aux crimes les plus barbares ».
« Le mécanisme du Sprachregelung – les règles de langage dans le vocable nazi – qui permit d’encoder le crime et de maintenir l’ordre mental nécessaire à sa perpétuation, se prolonge quand une société tolère que sa jeunesse vive au quotidien, à l’école même, dans la barbarie verbale » (page 214).
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Bensoussan Georges, Économie et société, Essais, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)