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05/10/2020

Les mots français à la mode XVI

Les citoyens français ont découvert dans un discours de M. Emmanuel Macron de l’été 2020, l’expression « État profond », sans bien sûr savoir ce qu’il recouvrait. C’est un concept de science (?) politique qui décrit des situations où le pouvoir démocratiquement élu se heurte à des résistances venant de l’Administration ou de la connivence entre une partie de cette Administration et des intérêts particuliers. L’économiste Jacques Sapir indique dans son article de Front populaire n°2 (septembre 2020), en page 11, que l’expression serait attribuée au Premier Ministre turc Bülent Ecevit et décrirait la situation de la Turquie dans les années 1960-1980.

Ici on connaissait « La France profonde », avant que M. Raffarin n’ose parler de « France d’en-haut, France d’en-bas », ce qui avait, il faut bien le noter, le mérite de la pertinence et de la franchise. Je ne sais pas pourquoi, l’expression me fait plutôt penser à la « gorge profonde » (deep throat) qui rôdait derrière le scandale du Watergate (sous Nixon).

Bref, j’ai l’impression que le concept va surtout servir aux politiciens qui trouveront là un bouc émissaire commode, excusant leur inaction ou leurs échecs. Mais il est vrai qu’en France, l’Administration et ses hauts fonctionnaires, inamovibles, « regardent passer les ministres » et résistent à leur velléités de changement (l’exemple de Bercy semble caricatural, à tel point que, pour abandonner la politique néolibérale de la France, qui dure depuis 1983, il faudrait sans doute remplacer tout le personnel de tous ses services centraux…). Au contraire, aux États-Unis, ils partent, en principe, dans les cartons de leurs ministres respectifs (mais il paraît que ce n’est pas si net)…

On avait « communautarisme », qui évoquait la désastreuse tendance de certaines « communautés » à vivre repliées sur elles-mêmes, loin des lois de la République, et de privilégier donc l’identité religieuse, ethnique, d’origine, de couleur de peau, etc., alors que la République ne reconnaît que des citoyens, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs. Le problème du mot, c’est qu’il y a des « communautés » qui ne gênent personne (communauté de vue, communauté enseignante, communauté réduite aux acquêts, communauté nationale, etc.). Alors M. Macron, sans doute à juste titre, a préféré appuyer là où ça fait mal et utiliser le mot séparatisme, qui est beaucoup plus fort. En effet, peut-on accepter que des groupes « se séparent » et vivent en marge de la République, et avec leurs propres lois ?

« Clivant » est un mot nouveau puisqu’on ne connaissait pas d’adjectif attaché à « clivage » et surtout transposé dans le domaine de la communication et du comportement. En fait ce n’est pas tout à fait exact : le Larousse universel de 1922 indique que « cliver » vient de l’allemand kliebenet signifie « fendre un corps minéral (ardoise…) dans le sens naturel de ses couches ». Il signale aussi l’existence de l’adjectif « clivable ». L’usage moderne est donc assez pertinent, surtout qu’il rend bien l’idée de « séparer » en profitant de fissures pré-existantes (entre les groupes humains, à l’intérieur des partis politiques, etc.). Il me semble néanmoins que l’étoile de ce néologisme pâlit…

Sans doute pour lutter contre l’amateurisme ou le but uniquement lucratif  de certains organismes de formation, l’État a élaboré un référentiel qui permet d’habiliter les sérieux et de recaler les opportunistes : France Compétences (anciennement RNCP – Répertoire National des Certifications Professionnelles). Il y a des niveaux, des documents à élaborer et à faire valider, des audits, etc., dans une construction qui fleure bon la qualité, l’assurance-qualité et la sacro-sainte uniformisation européenne (unités de valeur, credits). Parmi ces documents : le syllabus.

Syllabus (Larousse universel en deux volumes, 1922) : mot latin signifiant « sommaire ». À l’origine, c’est l’énumération des points décidés dans un ou plusieurs actes de l’autorité ecclésiastique (par exemple une Bulle d’un Pape). Cela correspondrait à nos « relevés de conclusion » modernes. À rapprocher peut-être de  l’executive summary des Anglo-Saxons qui est une synthèse concise, un résumé d’un document ou d’une étude, à destination des dirigeants qui, c’est bien connu, n’ont le temps de rien. Manque de chance les Pontes de la formation ont choisi ce terme pour désigner les « plans de cours » qui sont désormais exigés (à juste titre) des enseignants dans tous les organismes qui souhaitent être agréés. Et comme il n’y a pas qu’un syllabus à élaborer, on parle de syllabi…

01/10/2020

"Le roman des Jardin" (Alexandre Jardin) : critique

En 2005, Alexandre Jardin a publié chez Grasset « Le roman des Jardin », censé raconter les frasques et les excentricités du clan constitué par la famille Jardin et ses amis. Nul doute qu’il n’emprunte à la réalité bon nombre de bizarreries et d’anecdotes mais, vu l’ampleur du folklore présenté dans le roman, on se dit qu’il en a probablement rajouté. Et cela donne au récit une tonalité mi-souvenirs mi-fiction qui nuit à son intérêt.

D’abord la famille Jardin, c’est quoi ? Une dynastie d’hurluberlus qui commence par le grand-père, Jean, qui fut chef de cabinet de Pierre Laval pendant l’Occupation et dont le moins que l’on puisse dire est que son petit-fils n’est pas fier de lui. Il utilise même le roman pour percer l’abcès et confier son malaise. Son épouse, surnommée L’Arquebuse, mène la famille d’une main de fer mais pour s’assurer que rien de vraiment normal, convenable, conformiste, raisonnable ne s’y passe, que ce soit à Vevey chez elle ou dans la propriété de Seine et Marne. Elle pousse l’anticonformisme jusqu'à accueillir et héberger les maîtresses de son mari, comme d’ailleurs l’un de ses trois fils, Pascal Jardin, auteur connu de scénarios et de pièces de théâtre, côtoiera amicalement les innombrables amants de sa femme, Louse. Le seul qui est nommé dans le roman est le cinéaste Claude Sautet (« Les Choses de la vie »…), dont Pascal Jardin souhaitera qu’il ait un enfant avec Louse ; ce sera Emmanuel, le demi-frère, qui cherchera obstinément à obtenir sa vraie identité et qui ne s’en remettra pas.  Il faut dire que dans cette famille, l’adultère est monnaie courante et même encouragé.

Le père d’Alexandre, surnommé le Zubial, a deux frères surnommés Merlin et l’Ange Gabriel ; on aura compris que le surnom est ici la règle. Tous ces aimables bobos ont un point commun : surtout, ne pas travailler. J’ai appris, en lisant l’un de ses livres (« Paul Morand, un évadé permanent », Grasset, 2006), que Gabriel était le neveu de l’écrivain et dandy Paul Morand.

Une famille compliquée donc, au style de vie débridé, et qui est encore étendue par la fréquentation de nombreux amis (Yves Salgues, Maurice Couve de Murville…) au sujet desquels les anecdotes semblent complètement fantaisistes, voire choquantes.

De Alexandre Jardin je n’avais lu que « L’île des gauchers » et bien sûr, comme tout le monde, j'avais vu l’adaptation cinématographique de « Fanfan », surtout remarquable par ses deux têtes d’affiche, Vincent Perez et Sophie Marceau (veut-on qu’une fois de plus j’illustre mon propos par une photo de la belle ?).

Sophie Marceau à St Bart.jpg

J’ai du mal à caractériser son style littéraire ; indiscutablement, ses livres sont bien écrits mais comme « trop longs » à chaque fois ; le superficiel apparaît très vite et devient lassant bien avant la fin. Dans le « Roman des Jardin », c’est la répétition fastidieuse du même argument qui énerve le lecteur : Alexandre est content et fier d’être un Jardin mais la lignée le révulse et il a tout fait pour ne pas être comme eux, tout en cherchant par éclipses à laisser de côté sa première manière de romancier fleur bleue pour s’essayer à la fantaisie et au social (il évoque ses frasques conjugales et on se souvient par ailleurs de son agitation médiatique lors de la campagne présidentielle de 2017). Bref, une tempête sous un crâne de nanti, qui donne opportunément l’occasion de publier un nouvel opus. Tout cela sent trop l’écume des jours et l’apprêté pour être passionnant.

Son introduction, qui dure quelque 37 pages, suggère beaucoup mais ne dit pas grand chose ; l'écrivain en revanche a une certaine virtuosité pour la métaphore et les belles formules : « Nous étions une île, une sorte d’Angleterre désoccupée des affaires du globe et disponible pour l’originalité » (page 26) ; « Mort assez tôt pour avoir fréquenté d’immenses libertés, il avait eu l’honneur de rester vivant jusqu’à son décès » (page 229).

Au total, un roman qui se lit en deux jours et ne me semble pas devoir être recommandé ni gardé.