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10/04/2017

Irritations linguistiques XLVIII : délire lexical III

Je continue ma série de billets consacrés à la langue de la mode ou, plus exactement, au vocabulaire de certains journalistes quand ils parlent des modes dans leurs rubriques « Société ».

Julia Miss Sympathie Vosges Matin.jpgMes lecteurs connaissent déjà Valérie Hénau (voir mon billet du 3 avril 2017). Dans le Marianne du 10 mars 2017, elle s’attaque au « marketing du pop féminisme » (sic !). Sur le fond, et brièvement – car ce n’est pas le fond qui nous intéresse ici – elle a le droit de juger « l’inanité d’un mouvement (NDLR. : le féminisme) à sa capacité à être récupéré par le marché ». (NDLR. : inanité, caractère de ce qui est inutile, vain). En quelques paragraphes aux titres pleins (le pop féminisme est un tee-shirt à 500 € ; le pop féminisme est une pub tartouille ; le pop féminisme est une petite fille pontifiante ; le pop féminisme est un mascara ou un cours de yoga ; le pop féminisme est une fille à poil), elle veut démontrer que ce féminisme-là s’est dissous dans les gadgets, le superficiel et surtout les prétextes pour vendre toujours plus (« s’approprier le langage, l’imagerie et l’énergie du féminisme en le vidant de toute culture politique »). C’est malheureusement le sort de nombre de causes qui ont été récupérées par les publicitaires et les marchands du Temple (le meilleur exemple en est l’écologie). Elle écrit, lucide : « Comme nouveau moyen de lever les oiselles, en tout cas, cela semble marcher aussi bien que le coup du bébé chien »

Mais, une fois de plus, ce genre d’article est un ramassis de formules prétendument accrocheuses car vaguement américaines ; en un mot le lecteur doit affronter un déluge de franglais, avec pour seule consolation le constat que d’un texte à l’autre les mots, tous d’apparence anglaise, ne sont jamais les mêmes et que donc, selon le théorème d’Étiemble, ils disparaîtront sans crier gare avec l’objet même ou la mode qu’ils désignent.

Jolies filles images d'Épinal.jpgDès l’accroche on subit « les tee-shirts bavards » et « les jet-setteuses en Louboutin ». Puis ce sont les giboulées : body-shaming, féminisme cupcake, newsletter, best-seller global, en front row entourée de people, « The future is female », la Fashion Week, un sweat inspiré, le greenwashing, un vrai rêve no gender, les #mybeautymysay, un peu black, le #morethanabum, les femmes sont beaucoup plus que leur look, blonde fan de shopping, punch line : sois ta propre définition de la beauté, dans leur boîte mail, variante pour teenagers de la newsletter, des tee-shirts Beautiful et Hero, très genrés, une vidéo a fait le buzz, dix mille likes en une heure, soul cycling, boxe-yoga comme un supplément de capacitation, s’exhiber en body, poster des Instagram, réifiée par le désir des hommes, leur slut walk attitude, la vilaine fille bad ass à string rose, gadget girly, le dernier chic millénial dans les pays anglo-saxons, de façon assez gore ! 

Notre journaliste n’est pas dénuée d’autodérision involontaire puisqu’elle note, à propos des tee-shirts à slogan comme « Girls want to have fun » ou « I am a Barbie girl » : « en anglais, c’est toujours mieux ces trucs-là » ! Avec empowerment, elle touche au sublime : « en français, capacitation ou empouvoirement, autant dire que personne n’en parle ainsi » ! 

À noter aussi quelques bizarreries lexicales de l’époque comme « une fille hypermaigre et pas très raccord avec le sujet » et « tout le monde pense que les filles doivent juste être jolies ».

La coupe est pleine.

06/04/2017

Parler français sur les chantiers III

Mes lecteurs me pardonneront, j’en suis sûr, de revenir une deuxième fois sur la fameuse Clause Molière qui, imposée dans les marchés publics, vise à exiger une connaissance minimale du français de la part des ouvriers qui travaillent sur les chantiers de nos villes et campagnes, pour des raisons de sécurité (inutile d’imposer des normes et de bannir des pratiques dangereuses si les principaux intéressés ne les comprennent pas et ne peuvent pas les appliquer).

Et j’y reviens parce que je suis tombé sur un article de Guy Konopnicki intitulé « En pierre de Molière » dans le Marianne du 17 mars 2017. Il n’est pas précisément de mon avis mais l’objectivité m’oblige à mentionner ses arguments, qui sont intéressants.

Molière.jpgEn guise d’introduction, le journaliste ironise sur la « francitude » de Molière, argument facile : « Molière était le protégé d’un roi de France né de mère espagnole, affublée d’un titre d’Autriche. La scène se passait à Versailles, où l’on érigeait alors moult édifices, en faisant venir des ouvriers parlant les divers idiomes des provinces et même des langues parlées au-delà des Alpes ». Et alors, comme dirait l’autre ? À cette époque-là, ni les États-Unis ni l’Union européenne n’existaient, la France dominait l’Europe et attirait les meilleurs ouvriers d’art, qui ne devaient pas tarder à apprendre notre langue (je le suppose).

Ensuite, c’est rare de sa part, notre pourfendeur de toute mesure protectionniste, assène un argument fallacieux, selon lequel les régions et les départements pratiquant la Clause Molière ne privilégieraient que les entreprises françaises… Et alors ? Qu’est-ce qui empêche n’importe quelle entreprise, française ou non, d’employer des ouvriers parlant français ?

Puis, glissement sémantique, Guy Konopnicki ne parle plus que d’obligation faite à des travailleurs d’être « aptes à la lecture des consignes de sécurité ». Cela change tout ! N’étant bilingue ni en anglais ni en allemand, je m’estime personnellement parfaitement capable de « lire » des consignes de sécurité dans ces deux langues, et même, en m’appliquant un peu, en espagnol ou en italien, voire en roumain !

Perfide, notre journaliste demande si, actuellement, les chantiers publics ou non, mettent en danger la vie d’ouvriers qui ne peuvent pas lire les consignes. Sans commentaire… Et de se demander « comment les Italiens, les Portugais, les Polonais ont pu survivre aux métiers qu’ils exercent en France depuis plus d’un siècle » (NDLR. J’en ai connu quelques-uns, ils parlaient tous le français…).

De fil en aiguille, il en vient à se demander s’il s’agit de privilégier les travailleurs étrangers issus de pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie, donc « essentiellement ceux du Maghreb et de l’Afrique noire, auxquels il conviendrait d’ajouter les réfugiés de Syrie ». (NDLR. J’ai entendu très peu de réfugiés syriens dans les médias s’exprimer en français… Et l’on sait que la présence de la France et l’enseignement de sa langue en Syrie régressent depuis longtemps).

À la suite de quoi, à partir d’un argument que je n’ai pas compris : « Les entreprises françaises bénéficiant d’une priorité, au nom d’une clause de langue, ne peuvent reprendre le même critère pour embaucher leurs ouvriers », l’article devient politique (affrontement élus régionaux de droite / gouvernement de gauche). C’est donc ici que s’arrête mon billet.

03/04/2017

Irritations linguistiques XLVII : délire lexical II

Je continue sur le même article de Valérie Hénau et Vanessa Houpert dans le Marianne du 14 mars 2014 à propos des slogans-placards.

Un autre exemple de « tee-shirt déclaratif » est baptisé « Le Parigot tête de veau ». On craint le pire et on lit en effet « Le hipster revendique très fort son amour du Paris populaire qu’il a contribué à vider de ses habitants historiques, au profit de boutiques de fringues et de coffee-shops ». Et les journalistes de railler les porteurs de slogans « Pigalle » ou « Barbès parle », parodie, disent-ils, des sweats américains « California » ou « I love New-York », point de vue exactement inverse de celui défendu dès le début dans ce blogue (je me suis toujours demandé pourquoi les jeunes Américains portaient des tenues à l’effigie de LEUR ville et qu’est-ce qui faisait que les jeunes Français éprouvaient le besoin de porter des tenues à l’effigie de tout sauf de leur ville, de préférence en anglais… Soumission, dirait l’autre). 

Blood, sweat and tears.jpgÀ propos de sweat, avez-vous remarqué que les Français, ignares qu’ils sont de l’anglais, prononcent le mot : « souit » (au lieu de « souettte »). Rappelez-vous Churchill et le groupe des années 70 : « Blood, sweat and tears ». 

Dans un autre registre, il paraît qu’il y en a qui portent sur la poitrine « Chômeur », « Voyou », « Flambeuse », « Purée jambon », « Crème de la crème », « La superbe » ou « Fille à papa forever »… Et vous trouvez ça drôle ?

Moi, j’ai surtout vu à une époque « Fruit of the loom » (qui a le mérite de correspondre à son objet). Mais il y aurait eu des « French Pride » (que l’on ne peut condamner ici, puisqu’il semble vouloir dire au monde – par construction, anglophone – que nous sommes fiers d’être français) et même « Brooklyn parle français » (qui est évidemment faux mais qui a le mérite d’annoncer que l’Empire contre-attaque). Malheureusement, à ce stade de l’enquête, nos deux pimprenelles se croient obligées d’ajouter : « Personne ne comprend bien l’intention de départ (ah bon ?) mais, curieusement, elle est perçue comme plus valorisante qu’un noble Sauvez les baleines ».

Elles terminent leur article par un décodage-décryptage en parlant des slogans qui pastichent les marques et ne sont savoureuses que pour ceux (les ados) qui connaissent les marques elles-mêmes : « Isabelle Golri » (pour « Isabel Marant »), « Bucci » (pour « Gucci »), « Féline » (pour « Céline ») ou « Comme des fuckdown » (pour « Comme des garçons »). On ne sait pas bien qui est le plus ridicule, les marques ou leurs pastiches mais ce débat nous éloigne de notre propos, qui est de dénoncer l’invasion de la vie courante, en métropole (regardez autour de vous !), par des termes anglais sans raison aucune.