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18/04/2016

« Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles » (Bernard Maris) : critique

Quelle mouche avait donc piqué Bernard Maris cette année-là (en 1999, juste après la crise financière asiatique et la faillite du fonds spéculatif Long Term Management Capital dirigé par deux Prix Nobel d’économie) pour qu’il publie un brûlot pareil ? 

Maurice Allais (Nobel 1988).jpgSon petit livre (142 pages quand même, pour 7,50 € chez POINTS économie) est au vitriol ou au lance-flammes (comme on veut) contre tout ce qui se réclame de près ou de loin d’économie : les théoriciens (sauf Marx et Keynes, sauf Adam Smith, Malthus et Ricardo), les prix Nobel (sauf Maurice Allais, Nobel 1988 et Gérard Debreu, Nobel 1983), les modélisateurs (ce sont souvent les mêmes dans le palmarès de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel…), le FMI et l’OCDE (« les plus bornés et les plus sectaires »), les experts, les statisticiens, les journalistes et les hommes politiques bien sûr (sauf Dominique Strauss-Kahn, mais dont la face cachée n’était pas encore étalée au grand jour)…

C’est une hécatombe, la principale victime, à qui il ne trouve vraiment rien de bien, étant Michel Camdessus, directeur général du FMI ces années-là, après avoir sévi au Trésor et autour du scandale du Crédit lyonnais (« M. Camdessus est un âne »).

Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu débat ni procès en diffamation à la suite de la publication de ce livre mais franchement cela aurait pu se comprendre ; Bernard Maris les accusait tous d’incompétence, de complaisance, de mépris pour le peuple, de suffisance, d’appât du gain, que sais-je encore…

Gérard Debreu (Nobel 1983).jpgEn résumé, les modèles, même compliqués mathématiquement, sont ridiculement frustes et réducteurs quant à leurs hypothèses et n’ont jamais rien expliqué ni prédit ; ils ne servent que de joujoux aux théoriciens ; la science économique n’en est pas une et en fait n’existe pas, les théorèmes sont bidons ; les prix Nobel crachent le morceau une fois qu’ils sont au sommet (une fois qu’ils sont couronnés) ; les experts blablatent (« vendent leurs salades ») et ne disent rien, les politiques récitent un discours vide et stéréotypé…

Vu les crises financières qui se succèdent, vu les scandales qui s’accumulent, on a tendance à lui donner raison mais son livre pèche par deux côtés : d’une part il est inutilement agressif et méprisant (qui a dit quelque chose comme « tout ce qui est excessif est insignifiant » ?) et d’autre part il ne propose rien (après qu’il a tout démoli, que reste-t-il ? On ne sait pas).

Comble de tout, et comme la plupart du temps, Maris fait du Bernard : pour tirer sur tout ce qui bouge, il en rajoute et son style, à force d’être foisonnant, surabondant et répétitif, en devient lassant et nuit à sa force de conviction.

De fait le livre avait bien commencé ; dans le chapitre « Deux génies et un mécanicien », il promettait de démontrer « pourquoi une phrase comme le marché est efficace est une foutaise ». Et ça va à peu près bien jusqu’au chapitre 9 « Le FMI et son clown en chef ». Les économistes nobélisés qui se prennent pour des mathématiciens et s’amusent avec leurs petits problèmes sans rapport avec la réalité, en prennent pour leur grade mais c’est dit avec une certaine tendresse amusée. Malheureusement la suite n’est guère qu’invectives et moqueries vachardes.

Le sujet du livre est pourtant passionnant : qu’y a-t-il de pertinent et d’utilisable dans les théories, concepts et paradoxes dont le libéralisme nous abreuve, à savoir :

  • le marché et la main invisible de Walras ;
  • la loi de l’offre et de la demande ;
  • les théorèmes de Broüwer, d’Arrow, de Sonnenschein, de Lipsey-Lancaster ;
  • l’équilibre général ;
  • la démonstration de Debreu ;
  • l’optimum de Pareto ;
  • la concurrence libre et non faussée, l’information parfaite ;
  • l’équilibre de Nash (un mathématicien fou) et la théorie des jeux ;
  • le théorème d’Helmut Schmidt « Les profits d’aujourd’hui sont les emplois de demain » ;
  • la confiance, la transparence, la rationalité ?

Rien selon Onc’Bernard !

En effet, « Le marché est inefficace », « Le libéralisme n’a pas de fondement en théorie économique », « Le marché, laissé à lui-même, ne peut améliorer son fonctionnement » (démonstrations de Joseph Stiglitz).

« La concurrence est un tout. Ou tout est concurrence pure et parfaite, ou rien. On ne peut pas aller petit à petit vers la concurrence pure et parfaite ».

« Le marché, s’il donne l’équilibre, donne assurément la plus mauvaise solution »…

Bernard Maris 2.jpg

 

Il aurait fallu débarrasser le livre de ses outrances, de ses redondances, de ses procès d’intention, pour ne garder que le meilleur de Bernard Maris, de ses convictions, de ses valeurs :

  • l’économie, c’est avant tout de la philosophie, de la logique, de la psychologie, de la sociologie, de la morale ;
  • au lieu de mesurer des taux de croissance et des PIB, évaluons le bonheur ;
  • au lieu de ne voir que consommation et profit,
  • au lieu de « ne demander aux hommes que servitude, flexibilité, souplesse, expiation sous la dure et juste loi des marchés financiers », intéressons-nous à la pollution, au temps perdu dans les embouteillages, à l’écologie.

14/04/2016

Biréli Lagrène et les patrons du CAC40

Biréli Lagrène est l’un des meilleurs guitaristes de la scène mondiale depuis plusieurs années. Virtuose et concertiste à 12 ans, il était connu dans la guitare jazz manouche (style inventé et popularisé par le fameux Django Reinhard) mais a su évoluer et jouer des morceaux très variés (il faut écouter « Isn’t she lovely »  de Stevie Wonder et « Just the way you are » de Billy Joel !). Pour arriver à ce niveau exceptionnel, en plus de ses dons, il a dû travailler des centaines d’heures sur son instrument.

Biréli Lagrène.jpg

 

Je suis allé l’écouter début avril dans une salle de banlieue où il a joué 1 h 45 avec trois musiciens (un saxophone, une contrebasse et une guitare rythmique), après un trio en première partie ; la place coûtait 20 € (sans doute subventionnée). On imagine ce que chacun d’entre eux a dû toucher comme prix de son travail (que sont incapables de faire 99,99 % des habitants de cette planète).

 

  

Dans le même temps, M. J.-L. Bonnafé, directeur général de BNP-Paribas, a eu droit à une rémunération de 3,5 millions d’euros, en hausse de 26,5 % par rapport à l’année précédente (source : Marianne du 7 avril 2016) ; cela représente 9500 euros par jour et 950 euros de l’heure (à supposer qu’il travaille 10 h par jour tous les jours) ; lui et son prédécesseur avaient, entre autres, contourné l’embargo américain vis-à-vis de l’Iran, ce qui a coûté quelques milliards de pénalités à leur banque. Jean-Laurent Bonafé.jpg

On pourrait donner des chiffres plus ou moins équivalents à propos de la rémunération des autres dirigeants du CAC 40, par exemple de M. Carlos Tavarès, Président du Directoire du groupe PSA, virtuellement en faillite il y a peu. Ce Monsieur s’est fait attribuer 5,2 millions d’euros, ce qui représente le quasi-doublement de sa rémunération, incluant 2 millions d’euros d’actions de performance. Comme le versement de celles-là est soumise à conditions, le journal préféré des actionnaires individuels – je veux parler de l’hebdomadaire Le Revenu – conclut « Beaucoup de fumée pour rien » !

On pourrait surtout rappeler le cas de dirigeants qui ont touché des pactoles pendant que coulait leur entreprise ou qu’ils se contentaient de la céder à un autre groupe (Serge Tchuruk et Patricia Russo, Anne Lauvergeon et tant d’autres).

Dans le même temps, Benoît Potier, PDG d’Air Liquide, vendait pour 7667275 euros d’actions, et Pierre Dufour, son directeur général, levait pour 2349959 euros d’options de souscription d’actions ; titres aussitôt revendus, avec, à la clé, une plus-value brute de 2347725 euros, à savoir la culbute sans rien faire (source : Le Revenu n°1369 du 25 mars 2016). On espère que l’État touchera sa part d’impôt…

À propos d’impôts, ces privilégiés pourraient vivre heureux (peut-être) en vivant cachés et en évitant la provocation ; mais non, ils aiment ça, provoquer. Henri de Castries, PDG d’Axa, a ainsi dénoncé « le harcèlement fiscal » dans le Figaro, lui qui touche 2900000 € par an, soit 241000 € chaque mois, hors avantages en nature (source : Marianne du 22 janvier 2016).

Ces dirigeants aux rémunérations astronomiques, que font-ils d’extraordinaire, que ne sauraient pas faire 99,99 % des habitants de notre planète ?

Même bardés de diplômes, ils ne sont pas courtisés (sauf rares exceptions) par les multinationales étrangères ; on ne se les arrache pas ; quand l’un d’entre eux faut ou s’en va ailleurs, un autre prend sa place et applique le même genre de méthodes, avec les mêmes revenus en contrepartie.

Biréli Lagrène, lui, est unique.

Biréli Lagrène en concert.jpg

Où est l’erreur ?

PS. Il y a quand même matière à parler du français dans ce billet. J'ai été obligé de consulter mon Bescherelle pour bien conjuguer le verbe "faillir". Ce verbe ancien a trois acceptions : "manquer de" suivi de l'infinitif (il a failli tomber), "manquer à" (je faillirais à tous mes devoirs) et "faire faillite".

Et c'est là que cela devient passionnant !

Dans la première acception, il n'y a que le passé simple, le futur, le conditionnel et les temps composés du type "avoir failli". Dans la deuxième, idem mais en plus on peut s'autoriser des formes archaïques, du type "le cœur me faut", à savoir on retrouve le présent, l'imparfait et le subjonctif, tantôt sur la racine "fau", tantôt sur la racine "faill".

La troisième acception se conjugue régulièrement sur "finir" mais est inusité...

N'est-ce pas merveilleux ?

Version 2 du 17 avril 2016

 

11/04/2016

« Nos mythologies économiques » (Éloi Laurent) : critique (II)

Romain Duris et le pipeau.jpg

On aborde le deuxième chapitre du livre d’Éloi Laurent avec sérénité et intérêt, parce qu’il vient de nous démontrer que les lois économiques dont on nous rebat les oreilles, c’était bien du pipeau (rappelons-nous Romain Duris dans « les Poupées russes »…). On se console comme on peut.

 

Mais, dans le deuxième chapitre, l’auteur verse dans la bien-pensance et le déni. Voici ce qu’y on lit :

  • non, notre « deuxième » mondialisation ne se caractérise pas par des flux migratoires incontrôlables ;
  • oui, les flux migratoires vers la France sont à un point historiquement bas (0,4 % de la population française) ;
  • oui, la France, riche à l’échelle du globe, se doit d’être hospitalière ; oui, la contribution des immigrés au nombre de naissances sur le sol français est dix-neuf fois inférieure à celle des autochtones (?) ;
  • oui, le « grand remplacement » est matériellement impossible ;
  • oui, un cinquième de la population française est soit immigrée, soit issue de l’immigration depuis un siècle (8 % d’immigrés aujourd’hui) ;
  • oui, leur intégration sociale est défaillante ; non, ils ne représentent pas un poids insupportable pour l’économie française (c’est leur non-intégration qui coûte) et d’ailleurs envisager le problème sous l’angle économique est abject (sic) ;
  • oui, les migrants sont en majorité jeunes, actifs et éduqués ; oui, ils renforcent le dynamisme économique des pays où ils s’installent…

Et encore, je cite :

« L’immigration enrichit la France, au-delà des réalités économiques et de leur comptabilité monétaire : par la culture et les arts, par la langue (là, il faudra m’expliquer…), et jusque dans la manière d’être français (sic !), les immigrés rendent la France meilleure ». 

  • Oui, on peut concilier « diversité et solidarité » contrairement à ce que les Anglo-saxons ont propagé depuis le début des années 2000 : « Plus d’immigration correspond donc à davantage de protection sociale pour tout le monde ».
  • Non, les véritables territoires en souffrance en France ne sont pas les zones péri-urbaines (exit donc la thèse de Christophe Guilluy, qui n’est d’ailleurs pas cité) et les zones urbaines sensibles (ZUS) ne sont pas favorisées par la puissance publique (3 milliards d’euros par an depuis 15 ans, quand même), ce sont en fait les laissés pour compte. 

« La véritable singularité de la France, c’est que les descendants d’immigrés y sont plus nombreux que les immigrés ». 

On sera d’accord avec Éloi Laurent sur l’affirmation que les enfants d’immigrés peuvent réussir aussi bien que les autres (il dit même qu’ils font mieux…) si on leur en donne les moyens et qu’il faut le faire.

Et de conclure : « La France ne doit pas seulement reconnaître qu’elle est diverse : elle doit accomplir sa diversité en investissant dans l’intégration ». C’est beau… 

Je passerai rapidement sur le troisième chapitre, consacré aux mythes véhiculés autour de l’écologie car il est moins original à mes yeux et s’attaque à des « mensonges » déjà largement dénoncés. Il identifie ainsi et dénonce plusieurs résistances à la transition écologique de nos sociétés :

  • « Les crises écologiques seraient exagérées à des fins idéologiques » (donc il ne faut rien faire) ;
  • « Les marchés et la croissance seraient les véritables solutions à l’urgence écologique » (donc il suffit d’attendre) ;
  • « On ne pourrait pas changer les comportements économiques sans renoncer au libéralisme » (donc ce serait trop bête de changer et de se retrouver en régime totalitaire) ;
  • « L’écologie serait l’ennemie de l’innovation et de l’emploi » ;
  • « L’écologie serait une affaire de riches, synonyme d’injustice sociale ».

Tout cela, selon Éloi Laurent, est sans fondement. 

Au total, c’est un petit essai intéressant mais qui argumente de moins en moins au fur et à mesure des chapitres, se contentant, à plusieurs endroits, d’affirmer des points de vue et sans quasiment citer de sources (pas de bibliographie). Il a le mérite d’être bien écrit, direct et facile à lire. Mais il est cher pour ce qu’il est.

Version 2 du 11 avril 2016.