Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/05/2016

"Lettre à Jimmy" (Alain Mabanckou) : critique

Le 10 mai 2016, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, plutôt que de traiter le thème prévu (« L’Afrique face à son histoire »), Alain Mabanckou, dans sa leçon au Collège de France, a choisi d’illustrer et de défendre son livre de 2012, « Le sanglot de l’homme noir », livre qui était une sorte de suite à « Lettre à Jimmy » qu’il avait publié en 2007.

Sur le coup ce choix m’a choqué : quoi, on confie à un écrivain une chaire de création artistique et il consacre une heure – son heure hebdomadaire – à parler d’un de ses livres et à répondre, sans droit de suite, à ses contradicteurs ! Et ce fut, effectivement, une heure d’histoire politique, sans beaucoup de rapport ni avec la création ni même avec la littérature. 

Avant d’en résumer la teneur pour les lecteurs de ce blogue, je vais d’abord parler des deux livres en question, que je suis allé acheter, en sortant, à la librairie Compagnie et que je viens de lire. 

Commençons par « Lettre à Jimmy ».

James Baldwin.jpgC’est un merveilleux petit livre, très bien écrit et très bien construit, autour de la vie de l’écrivain américain James Baldwin, né en 1924 à Harlem (New York) et mort à Saint Paul de Vence en décembre 1987. Alain Mabanckou l’a écrit comme une lettre à l’écrivain, qu’il tutoie (Jimmy est le diminutif courant de James) et y a ajouté ses propres réflexions sur la question des Noirs, aux États-Unis comme en Europe, et sur la littérature. De fait, on retrouve là une partie de la substance de ses leçons au Collège.

Sur la forme, il alterne souvenirs personnels (ses promenades sur la plage de Santa Monica en Californie, ses échanges avec un clochard philosophe), critique politique et littéraire et biographie pure (comme le chapitre poignant consacré aux derniers jours de James Baldwin dans sa propriété au-dessus de Nice, avec les ombres de Simone Signoret et d’Yves Montand). Quel talent et quel style ! 

Sur le fond, Alain Mabanckou développe en parallèle deux thèmes principaux : l’engagement politique de James Baldwin (la lutte pour les droits civiques, le refus de rejeter la faute sur les Blancs et des lamentations éternelles) – son livre-phare est « La prochaine fois, le feu… » – et sa carrière littéraire, qui en a fait l’un des auteurs américains contemporains les plus réputés – son livre-phare est ici « La chambre de Giovanni » –. Il faudrait y ajouter le thème social et personnel : enfant bâtard, noir, pauvre, homosexuel, James Baldwin a bataillé dans la société de son temps et a réussi à s’imposer comme un penseur qui comptait (et choquait).

Alain Mabanckou retrace chronologiquement les grandes étapes de sa vie, émaillées de combat, de tribunes et d’œuvres littéraires, qu’il commente. En bon universitaire, il donne la liste de la quarantaine d’ouvrages qu’il a consultés, incluant trois biographies antérieures, ainsi que les références des extraits cités, parfois traduits par lui.

James Baldwin, un peu comme Ernest Renan chez nous à la fin du XIXème siècle (lire mon billet à venir sur « Souvenirs d’enfance et de jeunesse »), a commencé très croyant, prêchant l’Évangile dans les églises mais il s’en dégoûte et s’en éloigne à l’adolescence, pour se consacrer à la cause des Noirs et à un combat plus politique, dans lequel il se démarquera de la lutte frontale avec les Blancs. Il se passionne pour la littérature européenne et très vite publie des articles et écrit des livres (« La conversion »). Il arrive à Paris le 11 novembre 1948 et va progressivement s’opposer à l’un de ses maîtres en littérature, Richard Wright, en publiant une critique affûtée de son célèbre « Black boy » (1945), centrée sur le fondement de sa pensée « politique » : non, les Blancs ne sont pas les seuls responsables des malheurs des Noirs et il faut abandonner la revendication plaintive et l’inventaire sans fin. Plus globalement, il rejette le « roman d’opposition » qui privilégie la morale à l’art et déborde de sentimentalisme. Le fameux « La case de l’Oncle Tom » est l’une de ses cibles privilégiées. Alain Mabanckou fait le parallèle avec la littérature africaine et la différence d’approche entre Camara Laye (« L’enfant noir ») et Mongo Beti (pages 74 à 78). Il note la différence, en revanche, entre la situation du Noir américain et celle de l’Africain en Europe, due à des conditions d’arrivée complètement différentes.

Et… mais je suis en train de paraphraser le livre ! Inutile, il vaut mieux que mes lecteurs s’y reportent.

PS. Ce titre « Black boy » me disait quelque chose, bien que je sois sûr de ne pas l’avoir lu ; l’auteur, Richard Wright aussi… En cherchant un peu, je l’ai retrouvé chez moi ; cela me donnera l’occasion d’écrire un billet dans quelque temps.

PS2. On voit James Baldwin à Greenwich Village dans le film "No direction home" consacré à Bob Dylan, passionnant documentaire sur les années 60, le folksong et la contestation aux États-Unis.

28/05/2016

Mauvaises fréquentations (III)

Curieux mois de mai (2016)...

La fréquentation du blogue y a atteint son point le plus bas depuis le début (2 visites le 22 mai 2016 !), et, quelques jours plus tard, un double sommet (comme disent les chartistes) à 20 et 18 visites !

En mai, fais ce qu'il te plaît, qu'ils disaient... C'est donc un mois capricieux, apparemment. Au total, la fréquentation du mois va dépasser celle de janvier 2016, en restant inférieure à celle de mars et avril, et assez loin du record absolu de février 2016 (329).

Il est vrai que mon blogue est durement concurrencé par MM. Valls et Martinez, ce mois très chaud socialement donnant à mes lecteurs de multiples occasions, chaque jour, de s'intéresser à autre chose que le français et sa littérature, ne serait-ce que pour savoir où se trouve une station-service ouverte...

Je reste assez surpris, par ailleurs, par le petit nombre de ceux qui se sont abonnés ; faisant quelques sondages de temps à autre auprès de mes lecteurs (potentiels) les plus proches, je constate souvent qu'ils lisent le blogue par éclipses (ou si l'on veut, par bouffées), préférant sans doute médiapart, slate ou lefigaro.fr. Si c'est pour lire la prose de Natacha, je m'incline devant plus attirant(e) que moi...

Keren Ann.jpgDernier point, et n'en déplaise à ICB, les Sud-Américaines sont toujours là, à un niveau modeste il est vrai mais en légère progression, alors que l'Amérique du Nord régresse. Numéro 2 hors concours derrière la métropole, mes amis africains. Ma passion actuelle pour Alain Mabanckou a peut-être amplifié le phénomène.

Voilà, c'est tout. Sur Deezer, j'écoute "Where did you go" de Keren Ann... l'histoire personnelle n'est jamais loin.

07:30 Publié dans Blog, Chanson | Lien permanent | Commentaires (1)

26/05/2016

Irritations linguistiques XXVI : dictionnaires, illettrisme et français à Bruxelles

Un condisciple de l’École des Nobel m’écrit que je dois être content que le terme alumni entre au(x) dictionnaire(s)… Le pauvre, il n’a pas tout compris. Non seulement je suis totalement opposé à cette mode qui veut que les Associations d’Anciens Élèves des Grandes Écoles – en particulier celles de la moribonde ParisTech – remplacent le terme explicite « Anciens Élèves » par le terme américain, d’origine latine, « alumni » (je n’y vois aucune raison autre que le mimétisme imbécile envers l’Empire…) mais encore je rappelle obstinément que les dictionnaires sont des entreprises commerciales, dont l’un des rares avantages concurrentiels est d’attraper plus de mots « nouveaux » que les autres.

Dictionnaires 2.jpgPour preuve, cet article du Figaro (extrait) : Larousse contre Robert : dans les coulisses de la guerre des mots par Mohammed Aissaoui, mis à jour le 18/05/2016 

« Le Petit Larousse et Le Petit Robert se livrent à une bataille sans merci. L'enjeu est économique et commercial – près d'un million d'exemplaires vendus chaque année. Et chacun se veut le plus moderne en intégrant toujours plus de mots nouveaux, quitte à tomber dans le piège de la mode et de l'éphémère. 

C’est tout juste si on n'utilise pas des méthodes dignes de l'espionnage pour savoir ce que trame le concurrent. Il faut dire que ces encyclopédies se retrouvent dans la plupart des foyers – il s'en vend environ un million d'exemplaires chaque année ; près de 2,5 millions d'exemplaires si l'on tient compte des dérivés (junior, bilingue, poche…) ». 

Autre sujet d’irritation (ou de démoralisation) : Un jeune sur dix en grande difficulté de lecture par Marie-Estelle Pech, mis à jour le 18/05/2016 dans le même Figaro.

« Après une période de baisse entre 2010 et 2013, notamment chez les garçons, la part des jeunes en grande difficulté de lecture a augmenté légèrement en 2015, et ce quel que soit le sexe, selon la Direction des études statistiques du Ministère de l'Éducation.

Selon les évaluations effectuées à l'occasion de la Journée « Défense et Citoyenneté (JDC) » qui concernait, en 2015, plus de 770 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans, 9,9 % d'entre eux ont de « très faibles capacités de lecture », voire sont en situation d'illettrisme (Ils étaient 9,6 % en 2014). Tous se caractérisent « par un déficit important de vocabulaire ». L'étude fait en outre part d'une augmentation des « lecteurs médiocres ». Ils sont 9,4 % en 2015 contre 8,6 % en 2014. Ces jeunes sont obligés de compenser leurs lacunes de vocabulaire pour parvenir à une « compréhension minimale » des textes.

Lecture.jpgOn compte 80,7 % de lecteurs efficaces en 2015 contre 81,8 % en 2014 parmi les jeunes appelés de 16 à 25 ans. Sans surprise, les difficultés de lecture sont en grande partie liées au niveau d'études : 42,7 % de ceux qui n'ont pas dépassé le collège sont en difficulté contre 3,7 % pour ceux qui ont suivi des études générales ou technologiques au lycée. Plus d'un quart des jeunes évoquant un niveau CAP ou BEP présentent également des difficultés. Comme les années précédentes, la fréquence des difficultés de lecture est, en France métropolitaine, plus prononcée dans des départements du Nord ou entourant l'Île-de-France. En région parisienne, la part des jeunes en difficulté varie de 4,6 % à Paris, à 11,5 % en Seine-Saint-Denis. Concernant l'outre-mer, les pourcentages sont nettement plus élevés : autour de 30 % pour la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion, 48 % en Guyane et 75 % à Mayotte.

Ces comparaisons « doivent toutefois être maniées avec précaution ». En effet, ces résultats concernent des jeunes de nationalité française, qui représentent environ 96 % des générations scolarisées en France, cette proportion pouvant être sensiblement différente d'un département à l'autre. De plus, les jeunes participants n'ont pas tous le même âge. Certains jeunes, en proportion variable selon les départements, ne se sont pas encore présentés à la journée défense, « et l'on sait, de par les précédentes enquêtes, qu'ils auront globalement de moins bons résultats que les autres », observe l'étude.

Le pourcentage de jeunes en grande difficulté est très différent selon le sexe : 11,3 % des garçons contre 8,4 % des filles. De fait, les garçons réussissent moins bien les épreuves de compréhension. Ils témoignent plus souvent d'un déficit des mécanismes de base de traitement du langage écrit. Les différences entre les garçons et les filles s'observent en particulier pour les niveaux d'études les moins élevés. À partir du niveau baccalauréat, les performances des garçons et des filles ne sont pas significativement différentes ». 

Union européenne.jpgDernier point de ce billet : l’effondrement (programmé, consenti, laissé dans l’ombre) du français dans les institutions européennes. Le Marianne du 8 avril 2016 indiquait que « le pourcentage des documents européens qui sont rédigés en français est passé de 40 % en 1997 à 5 % en 2014 ». La messe est dite ; les Ravis de la crèche de la construction européenne et de la francophonie pourront toujours nous répéter que tout va bien, les faits sont là, déprimants… « Sur la même période, le pourcentage des documents en anglais est passé de 45 à 81 %... (La Grande Bretagne) a réussi la colonisation linguistique de l'Europe  avec l’aide efficace des idiots utiles de l’intérieur ». Elle a d’ailleurs également réussi sa colonisation néo-libérale… je ne sais pas quelle est la plus grave des deux.