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07/02/2022

Des livres illisibles...

Depuis presque huit ans que je tiens la plume dans ce blogue, j’ai analysé et commenté d’innombrables livres, parfois des essais, mais la plupart du temps des romans. Je l’ai fait en passionné de littérature mais en amateur, sans avoir à ma disposition aucun des « outils théoriques » qu’apportent de solides études de lettres modernes ou classiques, ni le dixième de l’expérience de la chose littéraire qui peut caractériser par exemple un Angelo Rinaldi, un Jérôme Garcin ou un François Busnel, sans même parler de Bernard Pivot.

Dans le lot des ouvrages que j’ai lus, guidé par le hasard des découvertes (un cadeau, un moment dans une librairie, un tour dans une brocante ou un salon du livre…, et même un héritage) ou bien par ma méthode inspirée de la bibliothèque de Warburg, il y a eu des feux d’artifices, des éblouissements, des occasions de plaisir ou de détente ; il y a eu aussi des déceptions et des irritations d’avoir passé du temps pour peu de choses.

Mais je n’avais jamais parlé ou si peu de mes échecs de lecture – est-ce mon échec ou celui des auteurs concernés ? Il y en a eu quelques-uns.

Chronologiquement j’ai d’abord buté sur « Mme Bovary » de Gustave Flaubert ; je ne suis pas sûr de l’avoir terminé. Ensuite, échec retentissant : « Femmes » de Philippe Sollers, abandonné au bout d’une cinquantaine de pages, faute de ponctuation. Puis « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline, que j’ai eu un mal fou à terminer. Et aussi « La route des Flandres » de Claude Simon, par défaut systémique de ponctuation. Dans mes notes, je retrouve « Terre des oublis » de D. Thi Huong, qui m’attend depuis 2008 ;  Et encore le Flaubert de Salambô… J’avais arrêté la lecture de « Un mal sans remède » de Antonio Caballero. Pour d’autres raisons, ça bloque aussi dans « La Gana » de Fred Deux. Aujourd’hui, c’est « Le carnet noir » de Lawrence Durrell sur lequel je me décourage au bout de trente pages absconses !

 

Au total, je m’inquiète pour mes capacités de lecture car au moins deux de ces écrivains sont considérés comme des stylistes de la langue de premier plan, voire des révolutionnaires de l’écriture. Quant à Durrell, c’est pour moi l’un des plus grands du siècle passé, avec son extraordinaire « Quatuor d’Alexandrie ». J’ai tellement mauvaise conscience que je mets ces livres de côté, en attendant meilleure fortune (c’est-à-dire en leur donnant une seconde chance).

 

Quand j’évoque des livres « illisibles », je ne parle pas de livres moyens, de livres peu intéressants, de livres dont on a seulement un peu de mal à voir le bout ! Sinon, évidemment, il me faudrait inclure « Gaspard des montagnes » de Henri Pourrat, « Les pays lointains » de Julien Green… Avec « L’œuvre des mers » de Eugène Nicole, on frise toutefois la nullité. Comme « Rue des boutiques obscures » de Patrick Modiano, pourtant couronné du Goncourt en 1978 et même du Nobel plus récemment ! Idem pour « La langue maternelle » de Vassilis Alexakis, qui a l’air d’être un disciple du précédent. J’avais noté à l’époque (en 2006) : insipide, bavard, sans objet, creux, en un mot nullissime. Je pourrais citer aussi « Les âmes grises » de Philippe Claudel, inexplicable Prix Renaudot. En 2007, Alain Fleischer a voulu donner une suite à son scabreux mais prenant « L’amant en culottes courtes », sorte de version longue et torride de « À nous les petites Anglaises » ; et ce fut, ultime clairvoyance d’auteur, « Quelques obscurcissements », divagation bâclée et radoteuse. Bien sûr on rechigne à déboulonner ses idoles mais vraiment le « Joseph Balsamo » d’Alexandre Dumas a peu d’intérêt : ce livre pour enfants est long, trop long. (Sur le même sujet, il vaut mieux lire « Le château de Luciennes » de Léon Gozlan, paru en 1847). La trilogie de Naguib Mahfouz, pourtant pittoresque et décrivant bien la vie au Caire entre les deux guerres, n’est pas passionnante. De la même époque (1956), il y a le Quatuor d’Alexandrie, déjà cité, et là, comme on dit « y a pas photo » ! D’André Chamson, j’ai lu sans passion « La neige et la fleur » (1951), bien que les cinquante dernières pages relèvent un peu l’ensemble. En 2012, « Quand la lumière décline » de E. Ruge obtenait l’équivalent du Goncourt allemand : décevant là encore, les chapitres se suivent sans que l’on apprenne grand-chose sur la RDA d’avant et après la chute du mur. « L’histoire contemporaine » d’Anatole France (dont « L’orme du mail » et « Le mannequin d’osier »), ne vaut pas la peine que l’on s’y arrête, bien que son style comme d’habitude soit admirable. Ce n’est pas le seul grand de la littérature qui parfois nous ennuie ou du moins a du mal à nous entraîner dans un livre… Romain Gary avec « Europa » et « Les cerfs-volants » est de ceux-là. Et Émile Zola itou dans « La fortune des Rougon ». Jean-Paul Sartre aussi (« Les mots », c’est barbant) mais est-il un écrivain ? Marcel Proust a été plus prudent – en fait moins solide physiquement ; il a consacré sa vie à un chef d’œuvre, une cathédrale littéraire :« À la recherche du temps perdu », et c’est tout.

02/02/2022

"Le bon plaisir" (Françoise Giroud) : critique

Françoise Giroud (1916-2003) est une journaliste à la vie privée et publique compliquée, co-fondatrice de L’Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1953, première secrétaire d’État à la condition féminine (sic !), puis secrétaire d’État à la culture, sous M. Giscard d’Estaing, président de la République française. Habituée des cercles du pouvoir, elle a dit un jour que les conseils des ministres qu’elle a connus étaient du niveau d’un conseil municipal de province…

En 1983, elle publie « Le bon plaisir » ; ce roman raconte la vie d’une ancienne maîtresse d’un président, qui cache l’enfant qu’elle a eu de lui et qui se fait voler un beau jour une lettre manuscrite dans laquelle il refuse cette naissance et l’abandonne pour sa carrière. On y voit aujourd’hui une allusion à Mazarine Pingeot, fille « naturelle » de François Mitterrand, dont ce dernier n’a révélé l’existence qu’à la toute fin de sa longue carrière. Françoise Giroud a cependant toujours nié avoir eu connaissance de cela avant d’écrire son livre…

Quoiqu’il en soit, « Le bon plaisir » a fait l’objet d’un film, avec trois acteurs remarquables : Catherine Deneuve, Michel Serrault et Jean-Louis Trintignant.

Mais que retenir du livre ? Pas grand-chose à vrai dire… si ce n’est que, sans style, sans profondeur, journalistique en somme, il fut un bon scénario de film.

Ah si, un passage quand même, page 112 de l’édition France Loisirs : « Au faîte de sa puissance dans son pays, il avait pris la mesure de son impuissance. Les hommes se courbaient devant lui et, parce qu’il n’était pas meilleur qu’un autre, il en jouissait. Mais les choses, elles, ne pliaient pas ou si peu. Ce qui lui résistait n’avait ni nom ni visage. Une pâte molle où les doigts s’engluaient sans parvenir à la modeler. Une multiplicité de petits obstacles dressés insidieusement devant les grandes décisions. Maître du verbe mais sans administration ni services, sans prise au niveau de l’exécution, son bilan, après cinq ans de règne, ne lui paraissait pas dérisoire, loin de là. Certaines actions avaient exigé du courage dont il ne manquait pas, d’autres de la ruse dont il était pourvu. Mais sur la plupart des points, la distance entre ce qui avait été accompli et les projets qu’il avait nourris, lui semblait maintenant irréductible lorsqu’il osait y penser ».

Et aussi, page suivante : « Un jour, ses familiers l’entendaient assurer que la très grande majorité des homes et des femmes étaient intéressés de manière incorrigible à l’amélioration de leurs conditions de vie. Un autre jour, il déclarait que, une fois ses besoins élémentaires satisfaits, l’homme ne saurait vivre privé de sacré et que son malheur présent était de ne plus savoir où le mettre. Il lui arrivait aussi d’expliquer, entre des œufs en meurette et une selle d’agneau braisé arrosée d’un château-pétrus, que dans un délai indéterminé, l’Europe en général et la France en particulier, seraient largement infiltrées par une population colorée qui ne continuerait pas à crever de misère chez elle sachant les buffets pleins ailleurs. C’était la version invasion pacifique et non délibérée par accumulation d’actes individuels, d’autant plus irrésistibles selon lui. Bref il s’était mis à philosopher, déclin de l’Occident et tutti quanti ».

Et ce fut écrit en 1983 !

On pense à l’actualité, 40 ans après, non ?

Post scriptum : à dire vrai, ce n’était pas ma première rencontre avec l’écrivain François Giroud, qui était ne l’oublions pas une féministe « classique », à une époque où l’on n’en parlait guère mais où pourtant il y avait de quoi… En 1996, j’avais lu d’elle « Une femme honorable », qui était une honorable biographie de Marie Curie, au style journalistique (on ne se refait pas) mais passionnante (sans doute le sujet – cette scientifique polonaise extraordinaire – y était-il pour beaucoup). On y parlait de l’école des Nobel, rue Flatters, de Paul Langevin, d’Émile Borel et de Jean Perrin. La science française tenait son rang ! Puis en 2011, j’ai lu son roman « Mon très cher amour » (paru en 1994). Cette histoire d’amour a deux balles entre une quadra riche et un jeune homme fauché n’avait aucun intérêt : ni description ni analyse psychologique, rien que du bling-bling. Je m’étais dit en refermant le livre : n’est pas Françoise (Chandernagor) qui veut.