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04/07/2019

Émerveillements linguistiques : la traduction et l'empathie selon François Bizot

C’est dans ce deuxième chapitre de son livre « Le silence du bourreau » que François Bizot parle des langues et de la traduction, à l’occasion de son travail de bénédictin sur les manuscrits khmers. J’ai déjà cité un extrait dans mon billet du 20 juin 2019.

Voici la suite de son texte : « … un inconnu ne livre jamais de ce qu’il se dispose à dire, qu’une image modifiée par ses hésitations, par ses présupposés. Il fallait prévoir que ce qui me serait intelligible me serait aussi trompeur. Ainsi, faire en sorte que ces êtres lointains, inatteignables, je veux dire dont tant d’interdits nous maintenaient à distance, me livrent dans leur langue quelque chose que je puisse énoncer dans la mienne, au travers d’une démarche humaine, globale, sensible, personnelle… Je devais tout mettre en œuvre pour me distinguer d’eux le moins possible mais aussi me braver moi-même pour mobiliser en moi de nouvelles dispositions de l’âme » (page 69).

Et ce qui est fascinant, c’est ces mêmes qualités humaines et professionnelles qui permettaient à François Bizot de « traduire » ce que lui disaient les moines et donc de progresser dans son appropriation des textes anciens et des traditions ancestrales, allaient lui permettre d’entrer en communication – et même en relation quasi intime – avec son gardien.

« C’est ce défi qui me dépassait, ces marottes contractées en arrivant sur place, cette manie de vouloir systématiquement percer les semblables pour les tâter de l’intérieur, qui se sont transformées en une opération cauchemardesque, après mon arrivée à M.13. Car c’est une chose que d’investir de son expérience particulière la condition humaine d’autrui, et c’en est une autre que de s’infiltrer en lui, en prenant sa forme, lorsque cette forme s’avère intolérable et cependant si congrue qu’on ne peut douter qu’elle soit aussi la nôtre. Un geôlier khmer rouge, c’était le contraire de moi, mais c’était encore moi, jusque dans la décadence » (page 69 et 70).

Ces passages constituent pour moi le sommet du livre : « Et tandis qu’enchaîné devant lui, je le regardais comme mon contemporain, que les mots qui transparaissaient de ma frayeur disaient : je ressens, je partage, je fais miens ton effroi et ton sort, je l’affranchissais de sa propre frayeur, et parvenais, sans l’avoir calculé, à lui cacher l’image haïssable que ses autres victimes renvoyaient toutes sur lui.

Mon visage devenu le sien fut ce qui lui a interdit de me tuer » (page 70).

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