10/06/2019
"La passe dangereuse" (Somerset Maugham) : critique
Que dire de ce livre, « La passe dangereuse » (1926) de Somerset Maugham ?
Et d’abord de l’auteur, britannique ayant vécu en France, puis aux États-Unis et dont la préface de mon édition de la Bibliothèque du temps présent (Éditions Rombaldi, 1964), publiée en 1972, indique qu’il a été en son temps « le romancier le plus lu du monde » ?
Qu’il a été l’ami de Churchill, qu’il a terminé sa vie bien remplie par d’innombrables voyages, sur la Côte d’Azur, que son patronyme a été utilisé dans le refrain d’une chanson d’Alain Souchon (« Ultramoderne solitude »)…
Que ce livre, « tout à la fois puissant et fait de nuances », serait « une étape essentielle » dans l’œuvre de l’écrivain. Bon…
Moi, je l’ai trouvé sur un appui de fenêtre, le propriétaire de ladite fenêtre s’en étant débarrassé…
Et je le comprends car, facile à lire, direct, sans circonvolution ni description, limitant les détails de contexte (Hong-Kong, la Chine, l’épidémie de choléra, le couvent de bonnes sœurs transformé en hôpital…) au minimum, il ne me laissera pas un grand souvenir.
Un mari trompé qui se sacrifie et songe à sacrifier sa femme en allant soigner des victimes du choléra, qui y laisse sa vie, un amant adoré, méprisé, oublié, retrouvé furtivement et finalement abandonné, une mère non revue avant sa disparition, un père muté outre-Atlantique que l’on accompagne ; voilà l’histoire, qui avait inspiré un film avec Greta Garbo…
On ne sait pas qui a traduit le texte de Maugham ; et on ne saura pas si c’est lui ou si c’est l’époque qui a décrit les petits Chinois malades comme suit : « À la vue de cette vermine en uniforme, de ces avortons à la peau jaunâtre, au nez camus, Kitty eut un mouvement de dégoût » (page 119).
Sur la forme, outre des métaphores vraiment pauvres ou saugrenues (« Le mystère de la conception passait sur le couvent, comme un capricieux zéphyr dans les blanches floraisons d’un verger », page 161), on lit des phrases incorrectes comme : « Qu’est-ce que ces vieilles commères ont été vous raconter » (page 140), au lieu de « sont allées ».
Plus loin, « Je ne vous aurais pas crue femme à vous mettre en peine pour quelques religieuses » (page 154). Je n’aurais pas accordé « cru », bien que le COD « vous » fût placé AVANT car « croire femme » agit comme une sorte de locution…
Et aussi : « Devant cette femme sèche, ambitieuse et tyrannique, qui gisait là, rigide et silencieuse (NDLR : et pour cause…), les années passées prenaient un sens dont peu à peu le tragique la pénétrait » (page 215).
Est-ce tout ?
Non, on apprend un mot « divette », dont le TILF nous dit :
Substantif féminin, familier et vieilli, Petite diva, chanteuse en renom d'opérette, de café-concert ou de music-hall. Emprunté à l'italien divetta « chanteuse de café-concert »
La philosophie de bazar ne manque pas non plus dans ce roman : « Mais la grande affaire, c’est d’aimer, non pas d’être aimé (…). Si nous ne partageons pas leur sentiment, ils ne réussissent qu’à nous importuner ». Et Kitty répond « Je n’ai pas d’expérience ? C’est la première fois qu’on m’aime » (page 141). C’est beau comme du Pascal Obispo...
En résumé, on pense à Amok de Stefan Zweig (en moins exacerbé) et au « Désert de l’amour » de François Mauriac (en moins provincial), tous romans des années 1925, lisibles mais sans génie. Dire que pendant ce temps-là, Giono écrivait « Colline » ! Mon avis : ni à garder ni à recommander.
07:00 Publié dans Écrivains, Littérature, Livre, Maugham S., Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
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