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16/05/2019

"Le Guépard" (Giuseppe Tomasi de Lampedusa) : critique IV

Fierté et résignation siciliennes

Lampedusa excelle dans la description des lieux, des paysages et du climat siciliens. Voici par exemple comment le « Guépard » explique le tempérament de ses compatriotes : « Ce sont ces forces-là qui ont forgé notre âme, au même titre et plus peut-être que les dominations étrangères et les stupres incongrus : ce paysage qui ignore le juste milieu entre la mollesse lascive et la sécheresse infernale ; qui n’est jamais mesquin, banal, prolixe, comme il convient au séjour d’êtres rationnel ; ce pays qui, à quelques milles de distance, étale l’horreur de Randazzo et la beauté de Taormine ; ce climat qui nous inflige six mois de fièvre à 40 degrés : comptez, Chevalley, comptez – mai, juin, août, septembre, octobre, six fois trente jours de soleil vertical sur nos têtes, cet été long et sombre comme un hiver russe, encore plus dur à supporter… Vous ne le savez pas encore mais on peut dire que chez nous il neige du feu, comme sur les villes maudites de la Bible. Durant ces mois-là, un Sicilien qui travaillerait sérieusement dépenserait l’énergie nécessaire à trois personnes. Et puis l’eau, l’eau introuvable ou qu’il faut transporter si loin que chaque goutte se paye par une goutte de sueur. Et puis les pluies, toujours impétueuses, qui rendent fous les torrents desséchés, qui noient bêtes et gens là où, deux semaines plus tôt, les unes et les autres crevaient de soif. Cette violence du paysage, cette cruauté du climat, cette tension perpétuelle de tout ce que l’on voit, ces monuments du passé, magnifiques mais incompréhensibles, parce qu’ils sont construits par d’autres et se dressent autour de nous comme des fantômes grandioses et muets » (page 166).

L’histoire joue son rôle également : « Pensez-vous, Chevalley, être le premier à espérer conduire la Sicile dans le courant de l’histoire universelle ? Qui sait combien d’imams musulmans, combien de chevaliers du roi Roger, combien de scribes des Souabes, combien de barons d’Anjou, combien de légistes du Roi catholique, ont conçu la même admirable folie ? Et combien de vice-rois espagnols, combien de fonctionnaires réformateurs de Charles III ? Qui se rappelle encore leur nom ? La Sicile a choisi de dormir, malgré leurs invocations ; pourquoi donc les aurait-elle écoutés, si elle est riche, si elle est sage, si elle est civilisée, si elle est honnête, si elle est admirée et enviée de tous, si, en un mot, elle est parfaite ? » (page 170). La Grèce de 2015 aurait pu écrire la même chose, non ?

Arrive l’événement de la saison à Palerme : les bals et surtout celui des Ponteleone : « Dix heures et demie, c’est un peu tôt pour se présenter à un bal ; le prince de Salina doit arriver quand la fête a perdu de sa fébrilité. Mais il fallait être là pour l’arrivée des Sedara et le maire de Donnafugata était homme à prendre à la lettre l’heure indiquée sur le carton glacé de l’invitation – ils ignorent encore cela, les pauvres » (page 194). D’aucuns auraient dit « les sans-dents », à moins que le Prince ait seulement pensé à les plaindre gentiment, sans allusion à leur statut social.

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