Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/11/2019

"Les désarrois de l'élève Törless" (Robert Musil) : critique

« Die Verwirrungen des Zöglings Törless » est le premier livre de l’écrivain autrichien Robert Musil, publié en 1906. Son dernier sera « L’homme sans qualité » que sa mort subite en 1942 laissera inachevé…

Pour le préfacier de l’édition Le Seuil / Points de 1960, « Les désarrois de l’élève Törless » est « une pénétrante, une admirable analyse de l’adolescence ». C’est aussi une sorte de prophétie du nazisme, dans la mesure où « il a mis à nu des idées (telle celle des êtres inférieurs par nature, et que l’on peut tuer sans scrupule) (…) qui étaient déjà dans l’air ».

Peut-être mais pour le lecteur d’aujourd’hui, ce roman, qui débute dans un pensionnat huppé d’une petite ville à l’est de l’Autriche, semble suranné par les situations qu’il décrit (le groupe de jeunes élèves qui fréquente une prostituée avant de rentrer à la pension…).

Mais c’est surtout le style et le mode de narration de Robert Musil qui déplaît : au motif de nous évoquer les pensées floues et le spleen de l’adolescent qui est son héros, il accumule les phrases vagues et alambiquées, que l’on ne peut jamais vraiment pénétrer et qui rendent la lecture fastidieuse… Rendez-nous « Le grand Meaulnes » d’Alain-Fournier, écrit, sauf erreur, à peu près à la même époque !

Voici, par exemple, une phrase typique, page 12 : « ce qui montait en lui n’était pas l’image mais la souffrance sans limites dont la nostalgie le tourmentait en le nourrissant, parce que ses flammes aiguës étaient à la fois douleur et ravissement ». On dira que c’est cité hors contexte, certes…

On a droit à quelques réflexions à portée « universelle » comme celle-ci : « Car la première passion de l’âge d’homme n’est point amour pour telle ou telle mais haine pour toutes. Le sentiment de n’être pas compris du monde et le fait de ne le point comprendre, loin d’accompagner simplement la première passion, en sont l’unique et nécessaire cause. Et cette passion elle-même n’est qu’une fuite où être deux ne signifie qu’une solitude redoublée » (page 45). On n’a pas dû avoir le même début d’âge d’homme, Musil et moi… Rendez-nous « La recherche » – Marcel Proust a eu le Goncourt le 10 décembre 1919 !

Quoiqu’il en soit, au bout de cinquante pages de cette eau-là, j’ai dû me résoudre à consigner le Törless dans le même purgatoire que le « Femmes » de Philippe Sollers : celui des livres abandonnés en cours de lecture – et vrai dire, plutôt en leur début. Cinquante pages semblent le maximum supportable d’un  livre auquel on n’accroche pas. « Désirs » d’Irène Frain (1986) a toutes les chances de subir le même sort, alors que « Gaspard des montagnes » de Henri Pourrat (1922), Grand prix du roman de l’Académie française en 1931, y a échappé, au prix de multiples recommencements (car je suis persévérant et n’aime pas renoncer) et que la trilogie du Nobel de littérature égyptien Naguib Mahfouz, « Impasse des deux palais » (1956) mérite sans doute que je m’obstine.

Curieux qu’il y ait souvent des citations des « plus belles premières phrases » ou des « plus beaux débuts de roman » – « Longtemps je me suis couché de bonne heure », « La mer est de nouveau trop grosse aujourd’hui, et des bouffées de vent tiède viennent désorienter les sens. Au cœur même de l’hiver, on perçoit déjà les prémisses du printemps. Un ciel de nacre pure jusqu’à midi ; les criquets dans les recoins d’ombre ; et maintenant le vent, dénudant et fouillant les grands platanes… Je me suis réfugié dans cette île avec quelques livres et l’enfant, l’enfant de Melissa », « Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts » et d’autres –, alors qu’on ne parle jamais des pires – « Pourquoi Trendy, à son arrivée, se trompa-t-il de villa ? »… ?