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15/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (III)

Troisième constat : le livre est bien écrit, alerte et, franchement, je l’ai lu d’une traite. On a glosé sur de supposées fautes d’orthographe : par exemple, le Marianne du 24 septembre 2021 note que « dès les premières pages » (non, en fait, c’est dans la première phrase de la première page !), Éric Zemmour écrit : « J’ai pêché, je le confesse. Pêché d’orgueil, pêché de vanité, pêché d’arrogance » et confond ainsi « le péché et la pêche ». La « brève » se conclut par : « Comme tous ceux qui ont un problème d’intégration, Éric Zemmour devrait prendre des leçons d’orthographe ». J’avoue que, ayant toujours du mal moi-même, à mémoriser la graphie correcte de ces mots voisins, je n’avais même pas repéré la faute. En fait, c’est tout simple : tous les mots qui ont rapport à l’activité s’écrivent avec un accent circonflexe (la pêche), alors que tous ceux qui ont rapport à la faute s’écrivent avec un accent aigu (le péché). Cerise sur le gâteau, si j’ose dire, le fruit et l’arbre s’écrivent aussi avec l’accent circonflexe (une pêche, un pêcher).

En revanche, j’ai bien noté, page 107 qu’il aurait dû écrire « je les croisai » et non pas « je les croisais », page 113 que la phrase « En Algérie, les tempéraments ysont rudes » est un pléonasme à cause du « y », même si « En Algérie » est placé en apposition, page 116 qu’il traînait un « à » inutile, page 131 qu’il faut lire « dont je n’ignore pas » au lieu de « que je n’ignore pas », page 175 qu’il faut lire « chambre à gaz » et non pas « chambre ou gaz), page 180 que dans la phrase « Sans doute y ont-ils vu là une bonne occasion » il y a un intrus : soit le « y », soit « là » (pléonasme), page 194 qu’un « du » remplaçait malencontreusement un « le », page 197 qu’un « Je lui lâchais » avait pris la place de « Je lui lâchai » (cf. page 107, décidément…), page 214 qu’il commet un nouveau pléonasme (ce restaurant dont le frère (…) en a fait un rendez-vous à la mode), page 225 qu’il faut lire « ces lieux » et non pas « ses lieux », page 246 qu’un « fais » avait pris la place du « sais » que l’on attendait, page 231 qu’il manque une virgule entre « judiciariser » et « imposer », page 232 qu’il faut lire « qui pourrait », page 259 que le mot « cuisinier » avait perdu (deux fois dans la même phrase) son troisième « i », page 276 que « nous autres Français » s’écrit avec un F majuscule, page 291 que la métaphore « tirer les marrons du feu » était employée à l’envers (en effet, celui qui tire les marrons du feu, c’est celui qui se brûle et qui les donne à quelqu’un d’autre, qui les mange !), page 311 que « la supériorité » aurait dû remplacer « une supériorité » car la phrase se poursuit par « de celui qui s’est arraché », page 314 que « Schulmeister » était écrit « Schulmeisteir » (écriture phonétique typique des non-germanophones), beaucoup de coquilles donc mais pas de quoi parler d’un livre mal écrit.

Plus compliqué, le cas du mot « émule ». É. Zemmour écrit page 259 : « Tous ses émules, de Robuchon à Ducasse, l’ont imité et dépassé ». Sur le coup, je tique ; « émule » est-il bien masculin ? (à notre époque, il faut se méfier…). Je consulte mon Dictionnaire de 1923 et mon Hachette de 1991 : non seulement ils se contentent d’indiquer pudiquement que c’est « un nom », sans plus, mais ils donnent des exemples d’emploi qui ne permettent pas de trancher ! Beaucoup plus complet, le Trésor de la langue française, nous sort de l’horrible doute, à l’aide de deux citations :

  • « La vraisemblabilité (...) chez Bourget, est parfaite. Émule de Balzac, il est profondément enfoncé dans la réalité » écrit GIDE dans son Journal, 1939, p. 992

  • « Les vêtements tombent, tous à la fois et comme liés l'un à l'autre, car cette émule charmante de Fregoli ne conserve que sa chemise de jour (...) et son chapeau » réplique COLETTE dans « Claudine en ménage », 1902, pp. 120-121.

Donc, comme « grand » au XIXème siècle, « émule » est masculin et féminin à la fois ; en linguistique, ça doit avoir un nom… Hermaphrodite ? J’en connais, des apôtres du non-binaire, qui doivent se régaler en découvrant cela…

Faut-il trouver là matière à critique ? On trouve des coquilles dans tous les livres « modernes » et on peut penser que c’est plutôt la faute de relecteurs ou bien de la précipitation à publier.

13/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (II)

Deuxième constat : le récit n’est pas ce qu’en ont dit les médias ni ce qu’en disent ses adversaires politiques, nombreux, en ce début d’automne 2021, à six mois de l’élection présidentielle. Essentiellement, on lui reproche sa « transgression » sur le rôle de Pétain pendant l’Occupation, sa supposée misogynie (le fameux pamphlet « Le Premier sexe »), sa harangue pour des prénoms « français » (caricaturée en projet de « rebaptiser tous les mal-prénommés ») et ses convictions anti-immigration de masse (caricaturées en projet de « remigration »). C’était prévisible mais horripilant. Passons sur la principale et ridicule critique de M. Laurent Ruquier qui s’est obnubilé sur le nombre de « dîners en ville » que raconte Éric Zemmour… Il y en a beaucoup en effet – son réseau est étendu et il en tutoie la plupart des membres – mais étalés sur quatorze années ! Et on peut comprendre qu’un journaliste politique ne convoque pas ses interlocuteurs dans son bureau mais les rencontre aux moments et lieux où ils sont disponibles, à savoir au cours des repas. M. Ruquier s’est étranglé aussi parce qu’il avait lu, page 19, « Mon triomphe médiatique à CNews n’arrange pas mes affaires »… et évidemment, cela n’arrangeait pas non plus les mesures d’audience de M. Ruquier…

Il en a fait des tonnes également à propos de la phrase suivante, extraite du chapitre « Leur suicide, ma victoire » consacré à son invitation à « On n’est pas couché » du 2 octobre 2014 : « son metteur en scène, un jeune éphèbe qui, si j’en crois le portrait élogieux qu’en fit Ruquier, avait du génie du seul fait qu’il était gay » (page 189). Stricto sensu, cela signifie que le portrait de L. Ruquier (dont É. Zemmour ne reproduit pas le texte mais que L. Ruquier s’est bien gardé de rappeler) était creux et attribuait les qualités du jeune homme uniquement à son orientation sexuelle (que nous n’avons pas à connaître et qui ne nous importe pas, soit dit en passant). Donc É. Zemmour, littéralement, ne prend pas parti, ne donne pas d’avis sur l’artiste en question, et se contente de reproduire ce qu’il a retenu de l’intervention de L. Ruquier. Donc mauvais procès, plutôt ridicule. Mais il est vrai que É. Zemmour, à son habitude, joue parfaitement de son habileté rhétorique pour laisser entendre que…

Et à côté de ces attaques de mauvaise foi, peu ou pas d’argumentations sur le fond. Du moins jusqu’à présent ; le débat avec Michel Onfray, le 3 octobre 2021, a contrario, a permis une confrontation d’analyses argumentées.

Le récit n’est pas non plus ce que certains prétendent qu’ils auraient voulu qu’il soit : un programme électoral. Il s’agit de comptes rendus d’entretien avec la plupart des responsables politiques actuels, de « confidences » sur tel ou tel, de réminiscences sur ce qui l’a enchanté dans le monde d’avant et de portraits de ses très nombreux interlocuteurs, parfois féroces (les portraits) : Serge July, Julien Dray, François Bayrou, Alain Minc, Dominique Baudis, Jean-Luc Mélenchon, Michel Noir, Nicolas Sarkozy, Jean-Christophe Cambadélis, Gérard Longuet, Christophe Guilluy, Hughes Dewavrin, J.-F. Copé, Xavier Bertrand, Christian Vanneste, J.-L. Borloo, Yann Moix, J.-M. Le Pen, Daniel Keller, Alain Madelin, Jean-Claude Mailly, Jacques Toubon, Max Gallo, Gilles Kepel, Patrick Kron, Charles Pasqua, Boualem Sansal, Régis Debray, Frédéric Mion, Nicolas Dupont-Aignan, Emmanuel Todd, Cédric Lewandowski, Édouard Balladur, Pierre Bédier, Gilles Clavreul, Laurent Wauquiez, Marine Le Pen, Patrick Devedjian… comme on le voit une écrasante majorité d’hommes « de droite » selon la catégorisation traditionnelle. Le moindre intérêt de ces comptes rendus d’entretien n’est pas de découvrir l’écart – parfois le grand écart ! – qui existe entre les avis et convictions privés et les déclarations publiques (voir les chapitres sur J.-F. Copé, X. Bertrand et Y. Moix par exemple).

11/10/2021

"La France n'a pas dit son dernier mot" (Éric Zemmour) : critique (I)

Le dernier livre d’Éric Zemmour, « La France n’a pas dit son dernier mot » (Rubempré, 2021) est un peu la suite de « Le suicide français » (2014) et de « Destin français » (2018) et, si l’on se limite aux titres, on peut penser que c’est le retour de l’espérance ou du moins de l’envie de ne pas baisser les bras : le pays se serait suicidé, son destin serait donc la disparition mais, en fait, non, il veut (peut) redresser la tête. Que cette « suite éditoriale » soit la conséquence ou au contraire le fondement d’une ambition politique (présidentielle en l’occurrence) est une discussion qui n’a pas sa place dans ce blogue. Je veux simplement, comme d’habitude, rendre compte d’une lecture et commenter les points qui m’ont intéressé ou déplu.

Premier constat : ce livre est construit comme un journal, contrairement aux précédents ; c’est le récit chronologique des échanges  que le journaliste politique a eus avec des gens en vue depuis 2006 et jusque décembre 2020, mis à part la longue introduction et bien sûr la conclusion, plutôt brève.

  • Sur la forme, c’est « Choses vues » de Victor Hugo, auquel il se réfère explicitement.
  • Sur le fond, c’est la substance de ses deux ans de chroniques sur la chaîne CNews, dans l’émission « Face à l’info » de Christine Kelly. Ses auditeurs fidèles ne seront pas surpris ; ils trouveront ici écrit le développement de ses analyses à l’antenne, ainsi que ses principales références (« Les origines de la France contemporaine » de H. Taine, « Le choc des civilisations » et « Qui sommes-nous ? » de S. Huntington, A. Tocqueville, « Les Illusions perdues » de H. de Balzac, « Qu’est-ce qu’une nation » d’Ernest Renan, « Kaputt » de Malaparte, « L’éloge des frontières » de Régis Debray, « La semaine sainte » de Louis Aragon).