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27/05/2019

"Ce que savait Maisie" (Henry James) : critique I

« What Maisie knew » est un roman de l’américain Henry James, publié en 1897 et traduit en français en 1947 (chez Robert Laffont) par… Marguerite Yourcenar. Dans mon volume des « Éditions Rencontre », trouvé sur un appui de fenêtre, figure une préface intéressante d’André Maurois, qui dit en substance qu’à la fin de la guerre, les Américains redécouvraient James et que ça n’allait pas manquer de se produire en Europe. De l’écrivain, je n’avais lu, il y a longtemps, que « Les ailes de la colombe », livre que je ne suis même pas sûr d’avoir terminé. Pas trop étonnant, James, le Proust américain (comme si c’était possible…), passionné par la vieille Europe (du début du siècle), étant un auteur réputé difficile.

Refermant « Ce que savait Maisie », j’ai deux sentiments opposés : admiration pour le tour de force que représente la construction du livre, l’enchaînement des événements et la progression du récit, et consternation devant la piètre traduction de notre future Académicienne (ou alors c’est le fameux style d’écriture alambiqué d’Henry James… pour trancher, il faudrait le lire en anglais).

Parlons d’abord de la pièce et des personnages (car ce n’est pas loin d’être un huis clos, même si le dénouement se produit dans le Pas-de-Calais). Le scénario est quasiment banal pour notre époque mais il a dû choquer en 1897 car le divorce y était rare. Monsieur et Madame ont un enfant unique, Maisie. Ils ne s’entendent plus et divorcent. Cela se passe très mal. Le jugement tranche pour une garde alternée, six mois chez l’un, six mois chez l’autre. La guerre est déclarée. Dans un premier temps, chacun des parents veut priver l’autre de Maisie ; ensuite, chacun veut s’en débarrasser, pour contrarier l’autre. Comme rien n’est simple, la gouvernante recrutée par Monsieur est jeune et très belle ; il l’épouse ; et Madame est une séductrice, elle épouse de son côté son Sir Claude. À la fin du livre, Madame s’est lassé de Sir Claude et multiplie les amants ; et Monsieur devient une sorte de gigolo ; quant aux seconds époux délaissés, ils se trouvent à leur goût et s’entichent l’un de l’autre. Pour faire bonne mesure, Maisie est discrètement amoureuse de son beau-père Sir Claude, qui lui-même n’est pas insensible au charme naissant de la petite fille devenue grande.

On rit sous cape en pensant à ce qu’un Joseph Connolly aurait fait d’un tel argument ; effectivement, on est très près des imbroglios de « Vacances anglaises »…

Mais le sujet – et donc l’originalité – du roman ne sont pas là. Henry James raconte l’histoire telle qu’elle est vue par la petite fille et telle que Maisie l’appréhende et la comprend. De ce point de vue, c’est du grand art et notre écrivain excelle à en dérouler le fil, à enchaîner les retournements de situation et à peindre les agissements égoïstes et irresponsables de ces quatre adultes débridés.

Cela étant on n’est pas dans « Lolita » de Nabokov, et la morale, représentée par l’autre gouvernante, Mrs Wix, sera sauve, du moins en ce qui concerne l’enfant. Légèrement déniaisée, elle renoncera à son beau-père, s’émancipera de ses parents indignes et commencera son adolescence, imaginons-le, sur de bonnes bases, merci Boris.