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02/11/2015

"Passage des émigrants" de Jacques Chauviré : critique (II)

Jacques Chauviré utilise parfois un vocabulaire peu courant.

Page 187 : "Peu à peu la laisse découvrit des rochers lointains" ("laisse" : sur une plage, ligne atteinte par la mer et généralement jalonnée des débris que celle-ci abandonne au jusant). Je vous laisse (sic) aller voir dans le dictionnaire ce que signifie "jusant"...

Page 225 : la réviviscence de douleurs et de courbatures.

Aubépin.jpgPage 262 : les aubépins Ce mot n'est pas dans mon dictionnaire Hachette de 1991 ; Wikipedia dit que c'est un ruisseau de Haute-Loire, ils n'ont pas lu Chauviré… ; seul le dictionnaire en ligne Reverso indique que c'est un arbre de la famille des rosacées ; et plus fort que tous, le Wheaton College du Massachusetts nous cite Ronsard, bon sang mais c'est bien sûr :

 

 

Bel aubepin verdissant,
Fleurissant
Le long de ce beau rivage,
Tu es vestu jusqu'au bas
Des longs bras

D'une lambrunche sauvage

 Et il sait, bien sûr, écrire de beaux passages, des aphorismes mystérieux et des sentences médicales précieuses.

"Le jardin était à la fois l'espace clos, à la mesure humaine, le lieu de la mise en ordre du sacré sur la terre où se perpétue la mélancolie de l'exil et de la chute" (page 113).

"Il sentait sourdre en lui une poésie étrange qui appartenait, elle aussi, à la terre dont la matière inerte et grise consentait avec complicité" (page 157).

"… si les fleurs possédaient leur éclat, elles consentaient aussi à disparaître lentement, sans amertume et sans doute sans souffrance lorsque elles avaient accompli le rôle qui leur était dévolu dans la fécondation... Dans quelques jours, lorsque les temps de la Pentecôte et de la Fête-Dieu seraient venus, temps où autrefois les enfants de chœur de Châtillon et de Relevant poussaient les barrières des jardins pour y cueillir des fleurs et y faire provision, dans leurs corbeilles, de roses et de pivoines dont ils jetteraient les pétales sur les chemins des processions, lorsque le soleil aurait touché le solstice et que l'esprit des Dieux aurait visité les jardins et abandonné les cimes des arbres aux aubes silencieuses, ce qui subsisterait des fleurs ne serait que fruit et graine, et les tiges dressées vers le ciel ne porteraient plus que le témoignage de l'accouplement" (page 176).

"L'Histoire contient les seuls faits dignes d'attention pour un vieillard" (page 226).

"Montagard (NDLR :  c'est notre héros…) songea au visage de la campagne telle qu'il l'avait connue lorsqu'il était arrivé à Saint-Pierre, à ce pays d'apparence si pauvre avec ses landes, ses haies, ses marais et ses pins. Il avait appris à aimer cette terre fragile, sablonneuse et discrète. Son fond paysan y retrouvait les valeurs éternelles, celles en tous cas, qui étaient pour lui essentielles : les odeurs simples, les couleurs du ciel, le souffle du vent, la solitude et le recueillement rythmé par sa lente démarche appuyée fermement sur ce sol. Les vraies richesse ne pouvaient jaillir que du dénuement (NDLR : on dirait du Giono, et pas uniquement à cause des Vraies richesses !).

Maintenant la ville s'étendait partout et elle avait tout souillé en tuant le silence et en créant l'agitation. Elle était née de toutes les faiblesses humaines où s'alliaient les désirs les plus vulgaires de l'espèce. Son encombrement, ses fumées, ses feux ne relevaient que de la satisfaction d'instincts élémentaires. Toute spiritualité et toute sagesse en étaient bannies" (page 260)

"L'âge accumulait en chacun de nous les réponses que l'organisme avaient jetées au cours de la vie dans la bataille quotidienne pour se défendre contre les agressions extérieures et surtout intérieures" (page 266).

Mais ce n'est pas tout sur ce livre. Le meilleur est à venir !

À suivre donc.

(Version complétée le 3 novembre 2015) 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

30/10/2015

"Passage des émigrants" de Jacques Chauviré : critique (I)

J'avais adoré "Les mouettes sur la Saône" de Jacques Chauviré, médecin de campagne qui s'était mis à l'écriture sur le tard, sa carrière terminée, et qui donc n'a écrit qu'une demi-douzaine de textes, mi-souvenirs d'enfance, mi-souvenirs de sa pratique médicale.

Je l'avais découvert par "Élisa", merveilleux petit livre dédié à sa nourrice, une belle jeune fille objet de son premier amour (de gosse).

Et là, tout d'un coup, - est-ce le mot "émigrants" dans le titre ? -, j'avais eu envie d'attaquer ce livre épais qui dormait dans ma bibliothèque depuis deux ans : "Passage des émigrants".

Passons rapidement sur l'orthographe (l'auteur n'en est peut-être pas responsable...) : comment admettre que, chez un éditeur aussi célèbre que Gallimard, et dans la prestigieuse collection nrf, il subsiste autant de coquilles. Jugez-en.

page 48 : "les marches de pierre grise qui, une porte franchie, donnait accès à un long couloir".

page 49 : "aux fenêtres étaient suspendues des linges de toilette, des mouchoirs et des chemises".

page 85 : "au début de Janvier..."

page 94 : "tout au lond de sa vie..."

page 110 : "soyez tranquille, je ne suis pas prêt d'oublier le désarroi de Mme Bailly", "bien qu'elle n'aimât plus son mari"

page 114 : (après une digression sur Saint Hilaire) "tout ceci apparaissait comme un culte caché..."

page 162 : "Le H. et S.-P. perdront leur réputation que de n'abriter que des vieillards"

page 179 : "accroché aux pentes de la bute..."

page 182 : "cordes plates et irrisées..."

page 256 : « lorqu’il s’éloigna de la porte… »

etc.

Mais ma première impression - désagréable - a concerné le style ; comme si, en 1977, Jacques Chauviré n'avait pas encore acquis sa maîtrise de la langue littéraire (ce qui n'est pas le cas puisque son premier ouvrage date de 1958, vingt ans auparavant). Cela se traduit par des expressions bizarres, des phrases qui semblent bancales, des effets involontaires sans doute, qui gênent et ralentissent la lecture.

page 44 : "une pluie fine, chassée par vent, lui caressait le visage" ; "des vagues qui déferlaient doucement sur la plage"

page 105 : "un trépied à perfusion encombrait les abords du lit"

page 106 : "une valise qu'on avait descendue dans le sous-sol"

page 111 : "il suffisait de quelques minutes pour être projeté dans l'une des infirmeries"

page 141 : "et les vins choisis avec précaution"

page 148 : "(ils) avaient décidé de la muter d'infirmerie"

page 149 : "alors..., elle consentait à accepter"

page 150 : "elle, au contraire, était allante et volubile"

page 169 : "ils formaient des groupes dont jaillissaient les paroles véhémentes de discussions"

page 171 : "un fin tuyau de matière plastique s'échappait sous les draps"

page 180 : "il était l'heure du change"

page 198 : "sa femme avait pris un malaise"

page 235 : « Il ne pouvait se débarrasser de ses souvenirs d’officier captif et de raconter les parties mémorables de bridge qu’il avait disputées »

page 255 : « Il avait échoué à l’hospice. Longtemps hébergé dans les dortoirs, l’infirmerie aurait été un havre s’il n’avait souhaité retrouver à tout prix la liberté »

page 259 : « Une mère qu’il fallait toujours soutenir, un père malheureux auquel l’unissaient les liens les plus subtils et lui-même était menacé »

page 292 (même incorrection que page 255, signalée plus haut) : « Situés au sud de l’estuaire, aucun mur ne les séparait de la ville »

page 296 : « Quant à dire que je retire une satisfaction particulière de cette connaissance, je n’irai pas jusque-là » (le futur de « j’irai » est admissible, le conditionnel « j’irais » le serait également). À comparer avec :

page 297 : « Je ne sais pas si je pourrais me libérer, dit Masson… ». Ici le futur « je pourrai » s’imposait !

etc.

À suivre...

(Version complétée le 3 novembre 2015)