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14/05/2020

Les mots du corona IX

L’inénarrable Sibeth Ndiaye a prononcé cette phrase incroyable le 13 mai 2020 : « Nous sommes en capacité de faire en sorte que les Français puissent bénéficier de masques ». Il y a d’abord l’incontournable et insupportable manie actuelle de mettre des « en capacité de » dans chaque phrase prononcée dans les médias, au lieu de dire « capable de » ou simplement « nous pouvons ». Thomas Legrand a fait une analyse politique un peu laborieuse de ce tic verbal mais il n’y a pas que les politiques qui s’y adonnent. Encore Mme Ndiaye n’a-t-elle pas jugé bon d’utiliser la redondance assez fréquente « en capacité de pouvoir », comme tel journaliste sur France 2 le même jour… Grâce lui soit rendue ! Ensuite « elle fait en sorte... » ; pourquoi cette lourdeur ? Pourquoi ne pas dire « nous pouvons faire bénéficier les Français de masques » ? Ou bien « nous pouvons procurer des masques aux Français » ? Parce qu’elle n’en est pas tellement sûre ? Parce que c’est un mensonge ? Et enfin, elle s’est débrouillée pour que les Français « bénéficient » de la protection physique évidente à laquelle ils ont pourtant droit, puisqu’ils sont « en guerre sanitaire ». Quelle condescendance ! Quelle dérision !

Au chapitre de ceux qui se couvrent de ridicule, il y a nos Académiciens : au bout de plus de trois mois d’information à jet continu sur l’épidémie, ils viennent de décider que le mot COVID est du genre féminin, au motif que la lettre D est l’initiale de Disease, qui signifie « maladie » ! Trop tard ! Pour les Français, c’est un virus (donc masculin) et non pas une maladie. Notons en passant qu’une fois de plus, on adopte sans coup férir un nom anglais, en l’occurrence Corona Virus Disease 2019, soit « maladie de 2019 à base de virus à couronne », nom choisi par l’OMS en février 2020. L’OMS, soi-disant sous influence chinoise, parle anglais… Ouf, on l’a échappé belle !

Et là, néanmoins, on nous refait le coup de DAECH (M. Fabius insistait : « Prononcez dèche »…), qui devait remplacer « État islamique » car ce n’était pas un État, alors même que DAECH signifiait « État islamique » en arabe ! Donc, bande de Gaulois réfractaires, prononcez COVID et non pas coronavirus, parce que COV signifie « coronavirus » et COVID « maladie à coronavirus » !

11/05/2020

Les mots français à la mode XI

Benoît Duteurtre est un critique littéraire et musical digne d’intérêt. J’ai consacré plusieurs billets de ce blogue à ses souvenirs d’adolescence rassemblés dans « L’été 76 ».

Ses chroniques sont toujours intéressantes, d’autant plus qu’il aborde souvent la défense de la langue française et qu’il y vilipende ses multiples agresseurs. Dans le Marianne du 6 mars 2020, sous le titre « Le temps des territoires », il dénonce, parmi d’autres tics de langage, cette manie des politiques de remplacer les mots « ville », « région », a fortiori « province » par le terme passe-partout de « territoire ». Ainsi va la novlangue…

« Ce mot qui semble renvoyer à quelque chose de concret, en rapport avec la terre, est devenu le terme le plus abstrait, le plus dépourvu d’enracinement, le plus administratif pour désigner un nouveau monde qui, peu à peu, remplace le précédent : sorte de friche post-historique soumise à la volonté d’organisateurs qui se chargent d’y dessiner des intercommunalités, d’y délimiter des zones écoprotégées et autres éléments structurants pour la population ».

Il note qu’après l’Aménagement du Territoire des Trente Glorieuses et ses « zones » (ZAC, ZUP…), sont venus les « espaces » (espace-nature, espace-loisirs). NDLR : il y a même une voiture qui a été baptisée ainsi…

Ensuite, malheureusement, l’Union européenne a essayé d’effacer les nations et un Président de la République a recomposé la carte régionale (un soir dans son bureau, paraît-il). Nous avons vu ainsi surgir des entités baroques comme Auvergne-Rhône-Alpes… Et l’État a regroupé, regroupé, regroupé les hôpitaux, les pompiers, le ramassage des déchets, tout en multipliant les parkings et les ronds-points.

En 2010, Michel Houellebecq avait intitulé son futur Prix Goncourt : « La carte et le territoire »...

04/05/2020

Les mots du corona VIII

« Il revient !

Qui ?

Devine : Le Caire !

Ah bon, ça se passe en Égypte ?

Mais non, je te parle du care ! Ça y est, ils en reparlent ! ».

Ce petit dialogue imaginaire était là pour partager avec vous cette nouvelle extraordinaire : les élites recommencent à nous bassiner avec cette notion aussi fourre-tout qu’américaine, qui décrirait une société fondée sur l’attention à autrui, la solidarité, les métiers de l’accompagnement, du soin, de l’aide à domicile, l’empathie.

Il faut reconnaître que c’est Mme Martine Aubry, en mal d’inspiration après ses déboires partisans et électoraux, qui avait importé ce « prêt à penser » d’Outre-Atlantique aux connotations bigotes (un retour à la démocratie chrétienne pour remplacer la social-démocratie en perte de vitesse?), croyant sans doute relancer sa carrière politique dans les années 2000. Mauvaise pioche, ce fut un flop.

Logiquement, invitée dans la Matinale de France-Inter le 30 avril 2020, à l’occasion du déconfinement à organiser à Lille, elle nous a re-servi cette vieille lune.

Mais le plus incroyable, c’est que même Alain Finkielkraut, dans un échange télévisuel avec le Ministre Olivier Véran, sur LCI, a cru devoir lui aussi évoquer cette évolution possible de notre société. Et notre Académicien d’utiliser le vocable anglais tel quel dans sa question (sans traduction ni précaution), au point qu’elle fut dans un premier temps incompréhensible !

Dans le même débat, Olivier Véran a osé le néologisme contact tracing (contact prononcé à la française, tracing à l’anglaise…).

Quant à sa collègue du Gouvernement, la Secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, elle a déclaré le même jour, sur CNews : « Notre enjeu est d’équiper tout le monde (en masques) ». Qui lui expliquera, à elle et aux politiques qui usent et abusent de ce mot, d’une part qu’un enjeu ne peut qu’être « collectif », « partagé » (et non pas propre à un Gouvernement) et que d'autre part un enjeu n’est pas un objectif ?

Un enjeu, c’est ce qui est « en jeu », ce qui est caché derrière (pour parler comme Alain Souchon et Laurent Voulzy), ce qui arrivera ou non selon que l’on atteindra les objectifs ou non. Donc, chère Madame Pannier (Pourquoi cette mode galopante des patronymes à rallonge ? Parce que tout le monde ne peut pas s’approprier Giscard d’Estaing ? Fascination pour la noblesse d’Ancien Régime?), chère Madame Pannier donc, votre objectif (et votre devoir !) est d’équiper tout le monde en masques (c’est opérationnel, c’est à court terme, c’est tactique) et l’enjeu, qui est national (le nôtre à tous, et non pas le vôtre à vos collègues et à vous), est la santé des Français ou plus modestement la non-contamination à grande échelle des Français (c’est à moyen terme, c’est stratégique).

Toujours à propos du Covid-19, l’intéressant entretien de l’anthropologue médical genevois Jean-Dominique Michel avec un journaliste du site Athle.ch m’a permis de repérer deux expressions amusantes (pour un Français de l’Hexagone) : « à année longue » (au lieu de « à longueur d’année ») et « supportif » (au lieu de notre franglais « supporter »).

Infinie variété du français… !

Pour terminer, rions. Dans un devoir leur demandant, à titre subsidiaire, de repérer et de traduire les termes franglais d’un discours, deux étudiants de niveau M1 ont répondu ceci :

  • top management = meilleur management (on croit les entendre parler entre eux : « c’est top » !)

  • (l’application de communication) Slack = mou

  • le soft (au sens du logiciel) = doux

Est-ce l’avènement du care ?