Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/11/2021

"Confession de minuit" (Georges Duhamel) : critique I

Georges Duhamel est un écrivain oublié et sans doute, au total, peu lu. Pourtant ce médecin – comme Jacques Chauviré et d’autres de la même corporation – fut chirurgien de guerre en 1914-1918, reçut le Prix Goncourt pour « Civilisations » en 1918, publia des recueils de poèmes, écrivit une trentaine de livres et fut élu en 1935 à l’Académie française, dont il fut le secrétaire « perpétuel » de 1942 à 1946 ; il fut aussi membre de l’Académie de médecine et présida longtemps l’Alliance française… Quel bonhomme ! et quel humaniste !

Son grand œuvre est « La chronique des Pasquier » (dix volumes parus de 1933 à 1945), qui est un peu le pendant de « Les Thibault » de Roger Martin du Gard et de « Les hommes de bonne volonté » (cycle romanesque en 27 volumes de Jules Romains, publié de 1932 à 1946). C’était l’époque des romans-fleuves et plutôt pacifistes…

C’est en 1920 qu’il commence sa carrière de romancier avec « Confession de minuit », premier volume de la suite « Vie et aventure de Salavin » qui comporte cinq tomes, publiés jusqu’en 1932 : I. Confession de minuit (1920) et Nouvelle rencontre de Salavin – ce volume fait partie des douze romans retenus dans le Grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle décerné en 1950II. Deux Hommes (1924) III. Journal de Salavin (1927) IV. Le Club des Lyonnais (1929)V. Tel qu'en lui-même... (1932).

Je m’amuse de constater qu’il est question de « suite » dans mes trois billets consécutifs des 8 et 10 novembre 2021 :

  • « Miroir de nos peines » qui fait d’ailleurs penser à « Suite française » ;
  • « Suite anglaise » de Julien Green ;
  • et celui-ci, dont notre auteur a eu l’idée après « sa rencontre fortuite avec un passant qui lui fit ses mornes confidences » (postface d’Albert Demazière, dans l’édition Famot de 1974).

Le roman commence par une scène de bureau (un bureau des années d’après-guerre) qui fait penser à certains vieux films, surtout américains, et même à Charlot (Charlie Chaplin). Le geste saugrenu d’un employé (en l’occurrence Salavin) envers son chef va conduire à son licenciement et être le point de départ d’une sorte de descente aux enfers. Le style est sobre, alerte, les descriptions succinctes et à grands traits, la narration à la première personne. Voyez, par exemple, à la page 30 : « Le pont d’Austerlitz est un beau pont. Il s’élance au milieu d’un grand espace blanc. Dès qu’il y a un peu de clarté sur Paris, c’est pour le pont d’Austerlitz ». Et, page 59 : « Comme une veine de nourriture coulant au plus gras de la cité, la rue Mouffetard descend du nord au sud, à travers une région hirsute, congestionnée, tumultueuse. Amarré à la montagne Sainte Geneviève, le pays Mouffetard forme un récif escarpé, réfractaire, contre lequel viennent se briser les grandes vagues du Paris nouveau. J’aime la rue Mouffetard ». Suit un chapitre merveilleux où notre héros déambule dans le Paris de l’entre-deux guerres.

Le décor fait ensuite penser à « La Gana » de Fred Deux : « Le couloir qui perfore notre maison, au ras du sol, est sombre dès la porte, comme un terrier. D’innombrables pas en ont usé le dallage, au milieu, si bien qu’il semble, dans toute sa longueur, creusé d’une rigole où séjourne l’eau fangeuse apportée là par les souliers » (page 37). « Là végète notre vieille concierge, dans une obscurité hantée d’odeurs culinaires, sous le crachotement d’un éternel bec Auer au tuyau gorgé d’eau » (page 39).

10/11/2021

"Suite anglaise" (Julien Green) : critique

En 1927, Julien Green, écrivain franco-américain, qui a célébré le Sud-Est des États-Unis de ses origines familiales (voir « Les pays lointains », « Les étoiles du Sud ») et qui est aussi connu pour son Journal (1926-1967), publie « Suite anglaise », son premier livre. Son but – un peu comme des « Études pour piano » ou des gammes – est de faire découvrir des écrivains anglophones qu’il apprécie et qui sont peu connus (à l’époque et encore aujourd’hui en France) : Samuel Johnson (1709-1784), William Blake (1757-1827), Charles Lamb (1775-1834), Charlotte Brontë et Nathaniel Hawthorne (1804-1864).

Ce sont des biographies très bien écrites, alertes et émouvantes ; il faut dire que les personnages qu’il a choisis sont tous sauf de paisibles écrivains : excentriques, quasi-fous, poursuivis par le malheur… la réalité dépasse la fiction !

Voyons ce qu’en dit Babelio :

« Samuel Johnson eut un grand succès de son vivant et fut une référence en son temps car il avait un esprit encyclopédique et était capable de disserter des heures sur n'importe quel sujet.

William Blake, immense poète naviguant aux portes de la folie et passant toute sa vie dans la tristesse et le dénuement.

Charles Lamb, simple employé de l'India House, vivait avec sa sœur qui souffrait de crises de démence. Il fréquenta Keats, Carlyle et Thomas de Quincey, opiomane notoire. Sa grande œuvre fut « Les Essais d'Elia » qui firent l’objet d'une parution par mois pendant cinq ans.

La vie de Charlotte Brontë fut d'une tristesse infinie. L'auteur de « Jane Eyre » vit deux de ses sœurs mourir de tuberculose. Elle dut gagner sa vie comme gouvernante, puis s'occuper de son père pasteur qui lui survécut mais l'empêcha d'épouser le seul homme qui s'intéressa à elle. Recluse dans un presbytère perdu, elle passa son temps à coudre et à écrire en compagnie de ses deux autres sœurs, auteurs des célèbres « Hauts de Hurlevent » et d'un frère violent, drogué et alcoolique. Elle mourut la dernière de sa fratrie.

Quant à Nathaniel Hawthorne, auteur de « La lettre écarlate », il travailla longtemps au service des douanes pour assurer la subsistance de sa famille. Alors que ses livres se vendaient assez bien, ses éditeurs oubliaient de lui verser ses droits d'auteur ».

Un petit livre à recommander, que l’on ne relira que si l’on s’intéresse à la littérature anglaise des XVIIIème et XIXème siècles.

08/11/2021

"Miroir de nos peines" (Pierre Lemaître)

J’ai lu « Miroir de nos peines » en une semaine, début mai 2021. Je l’avais trouvé dans le rayon « librairie » d’une grande surface du Cantal, à côté du « Sagesse » de Michel Onfray… et bien qu’il soit le troisième et dernier tome de la trilogie « Les enfants du désastre » de Pierre Lemaître, j’ai commencé par lui, et non pas par le Goncourt 2018 « Au revoir là-haut », que j’ai acheté plus tard.

C’est un roman de facture classique, sans fulgurances mais sans longueurs, construit sous forme de chapitres consacrés chacun à un personnage ou à une famille pendant l’exode du printemps 1940 (« l’art du découpage » dit la critique de « Le Monde »), chapitres qui conduisent à un épilogue où l’on apprend ce que deviennent « ces personnages dotés d’un charisme fou » (dixit « le Monde »).

Ne croyez pas « le Monde » ni même « Le Figaro magazine » (« Haletant et brillant »). Rabattez-vous sur « Lire » : « Très bien documenté et habile ». Voilà, c’est ça : documenté et habile, mais pas de la littérature !

On pense à l’injustement porté aux nues « Suite française » d'Irène Némirovsky (Éditions Denoël, 2004), qui lui valut l'attribution à titre posthume du prix Renaudot.

À ne lire que pour passer le temps, « sans se prendre la tête » comme disent les jeunes.